Sur le front olympique
Texte : ADC Anthony THOMAS-TROPHIME
Publié le : 13/11/2024. | Temps de lecture : 10 minutes
Il y a trois mois, la France était sous les feux de la rampe avec les Jeux de Paris 2024. Un succès auquel l’armée de Terre a contribué, de la préparation au déroulement de cet événement hors norme. Sur le volet sécuritaire, d’abord, avec les soldats de l’opération Sentinelle mais aussi avec la participation de jeunes étudiants aux cérémonies de remise de médailles. Sur le plan sportif, les victoires de ses athlètes ont fait vibrer le cœur de millions de Français.
La démarche lente, les sens en alerte, le groupe de soldats emprunte la passerelle Simone de Beauvoir enjambant la Seine, entre l’esplanade de la bibliothèque nationale de France et le parc de Bercy. Sous le soleil matinal de ce 16 juillet, des légionnaires du 1er régiment étranger de cavalerie progressent parmi les touristes et les joggers. Tous semblent indifférents à la vue des uniformes et des armes. Les patrouilles de l’opération Sentinelle font partie du quotidien.
Sous le pont, les embarcations fluviales du génie (EFG) navigant sur le fleuve sortent de l’ordinaire. Elles appartiennent au bataillon Ivry-Charenton (Bativry), un bataillon interarmes composé d’unités de la 6e brigade légère blindée et d’unités spécialisées. « En renfort des forces de sécurité intérieure, notre action est consacrée à la lutte contre le terrorisme dans le milieu aérien, urbain, fluvial et subaquatique », explique le colonel Rémy Chabaud, chef de corps du 1er régiment étranger de génie et chef du Bativry. Il assure la sécurisation de la zone de stationnement des 180 bateaux destinés à la parade fluviale de la cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques.
Son champ d’action s’étend du pont Nelson Mandela à Ivry-sur-Seine au pont d’Austerlitz dans le VIIe arrondissement de Paris, soit 3,5 km. « Le cadre d’engagement des armées sur le territoire national repose sur l’opération Sentinelle. Pour cet événement exceptionnel, ce qui change c’est la durée de préparation, l’augmentation des effectifs et un spectre de mission plus étendu mobilisant des moyens spécialisés », précise le général de corps d’armée Christophe Abad, gouverneur militaire de Paris (GMP).
Être dissuasif
Pour cette opération hors norme, les moyens sont exceptionnels. Le Bativry, fort de 800 hommes, dispose d’un large panel de capacités : drones, sonars, équipes cynotechniques et de lutte anti-drone, plongeurs de combat du génie, etc. Sur site, le dispositif a été éprouvé à de nombreuses reprises avant la cérémonie. Des profondeurs jusqu’au ciel, la zone est hermétique à toute intrusion ou actes malveillants, de jour comme de nuit. « Cette mission exige le même degré de préparation que pour une opération extérieure » ajoute le GMP.
Sous le pont d’Austerlitz, les légionnaires de la 13e DBLE patrouillent à bord d’une EFG. Avec ses deux moteurs de 150 chevaux, l’embarcation offre un gain de réactivité en évitant le trafic routier. Plus loin sur les quais, une équipe du 61e régiment d’artillerie (61e RA) déploie un drone Parrot Anafi. Dans un bourdonnement, le quadricoptère s’éloigne du télépilote avant de disparaître dans le ciel. Ces engins volants de surveillance sont déployables en deux minutes pour lever des doutes sur de potentielles intrusions et pour vérifier l’état des clôtures. « Le survol de nos drones dans la zone protégée a un effet rassurant tout en étant dissuasif », souligne le chef d’équipe, le maréchal des logis Maxime.
L’utilisation de cette capacité est inédite. Le détachement du 61e RA agit en coordination avec celui du 54e régiment d’artillerie, spécialisé dans la lutte anti-drone. Doté de système de détection et de brouillage comme la station Milad 2 ou de fusils brouilleurs Nerod, il identifie et interdit tous vols non autorisés dans le périmètre sécurisé. Pour commander et coordonner les unités sur le terrain, l’état-major de la zone de défense de Paris, implanté à Saint-Germain-en-Laye, a rejoint le cœur de la capitale à l’École militaire pour toute la durée des Jeux.
Il est renforcé par l’état-major de la 27e brigade d’infanterie de montagne. Il est en lien permanent avec les acteurs majeurs tels que les forces de sécurité intérieure, les préfectures, les mairies, le comité d’organisation des Jeux. Il est aussi en relation avec les commandements de la cyberdéfense et de la défense aérienne. « Hier comme aujourd’hui, le dialogue civilo-militaire reste un facteur déterminant pour la réussite de cette mission », insiste le GMP.
Remonter le temps
Une semaine plus tard, le trafic sur la Seine est à l’arrêt, plongeant le fleuve dans une quiétude inhabituelle. Déclaré sain pour les épreuves de triathlon et de natation marathon, celui-ci va dévoiler ses secrets, à deux jours de la cérémonie d’ouverture. Au centre de la capitale, entre les ponts de Sully et d’Arcole, près de l’île de la Cité, deux Zodiacs® suivent un amas de bulles à la surface. Le bouillonnement continu indique aux pilotes la progression des plongeurs immergés à dix mètres de profondeur.
Sur le futur parcours de la parade inaugurale, ces derniers sondent les fonds à la recherche du moindre élément susceptible de troubler le premier jour de l’événement sportif le plus médiatisé au monde. Se laissant dériver par le courant, les hommes-grenouilles remontent le temps. « La Seine regorge d’objets en tout genre. Des sabres d’époque, ou encore des fusils de la guerre 39-45, sans oublier les trottinettes et les vélos », confie le sergent du 2e régiment étranger de génie.
Lui et d’autres plongeurs démineurs de son unité et du 19e régiment du génie font équipe avec les plongeurs de la sécurité civile, de la “fluviale”, des CRS ou encore du Raid, en tout quarante-cinq personnes. Leur action d’inspection des coques de l’armada complète celle des soldats du 28e groupe géographique. Ces derniers ont cartographié les six kilomètres séparant le pont d’Austerlitz du pont d’Iéna, avec leur drone aquatique Bathydrone. « Rien ne doit entraver la tenue des Jeux. Il en va de la crédibilité de la France à organiser, sur son sol, un événement planétaire et historique » soutient le GMP.
15 000 Terriens mobilisés
Dans le même temps, sur la terre ferme, une autre section de sapeurs du 2e régiment étranger de génie est à pied d’œuvre. Ils effectuent des inspections de sécurité dans les locaux jouxtant le parcours de la parade, en renfort des gendarmes et des policiers. Tout est passé au peigne fin, y compris les restaurants, les péniches privées et même le mémorial de la Shoah. Ils sont appuyés par trois équipes cynotechniques du 132e régiment d'infanterie cynotechnique, spécialisées dans la recherche d’explosifs.
Dix-huit mille militaires, toutes armes confondues, sont mobilisés pour la sécurisation des JOP sur le territoire national, dont 10 000 en Île-de- France. Dans cette zone, près de la moitié sont hébergés au camp caporal Alain Mimoun. Implanté sur la pelouse de Reuilly, dans le sud-est de la capitale, son emplacement, stratégique, est proche des sites olympiques parisiens. Monté en 65 jours, il regroupe 30 000 m2 de construction dont 331 structures de logement climatisées.
« Nous avons déployé des moyens logistiques importants et innovants dans l’esprit de ce que nous faisons en Opex », expose le général Abad. Plus grand camp construit depuis la Seconde Guerre mondiale, le site, soutenu par l’Économat des armées comprend : un espace de restauration, des lieux de convivialité, des équipements sportifs, sans oublier le wifi. Sa sécurité, identique à celle d’une garnison, est assurée par des compagnies dédiées du 35e régiment d’infanterie et du 2e régiment de hussards. D’autres sites hébergent le reliquat des forces dans la capitale et ses environs.
Levée des drapeaux
La cérémonie d’ouverture a tenu ses promesses et aucun incident majeur n’est à déplorer. 9 août, 14 h 30. À Saint-Quentin-en-Yvelines, les supporters affluent vers le vélodrome pour assister aux épreuves de cyclisme sur piste. Aux abords du site, un groupe de soldats marche à travers la foule. Force tranquille mais réactive, les nombreuses patrouilles Sentinelle rassurent la population en la protégeant des menaces diverses.
« Notre présence est appréciée par les spectateurs français comme étrangers, se réjouit le caporal-chef Sydney, réserviste au 13e bataillon de chasseurs alpins. Certains nous remercient chaleureusement. » Il fait partie des 15 % de réservistes des 18 000 militaires mobilisés sur la période des JOP. « Leur participation est précieuse. Au-delà de leurs compétences, ils apportent aussi leur énergie et leur enthousiasme », souligne le GMP.
La participation de l’armée de Terre n’est pas cantonnée à l’extérieur des sites olympiques. Au vélodrome, la cérémonie de remise de médailles clôture la journée. Drapeaux soigneusement pliés entre les mains, les porteurs rejoignent leur emplacement au pas cadencé. Ils font partie du bataillon de cérémonie, une unité de circonstance, chargée de la levée des drapeaux du pays des vainqueurs sur les 329 cérémonies de remise des médailles et celles d’ouverture et de clôture des JOP.
En assurant l’une des missions les plus visibles des Armées, le bataillon valorise l’action de la jeunesse et renforce le lien armée-Nation. Il compte dans ses rangs des militaires d’active et de réserve, des jeunes du service militaire volontaire ainsi que des étudiants issus des lycées de défense des trois armées. 70 % d’entre eux sont des Terriens. « En portant l’uniforme du lycée militaire, je suis fière d’incarner les valeurs d’une jeunesse engagée », partage Eleanor, élève au lycée militaire de Saint-Cyr-l’École.
Cette fois-ci, le drapeau tricolore n’est pas hissé au son de La Marseillaise. Qu’à cela ne tienne, la veille, le soldat de 1re classe Cyrian Ravet a décroché une médaille de bronze en taekwondo. D’autres suivront… Sur les 64 médailles remportées par la France, un tiers provient des athlètes de l’armée de champions dont dix par des sportifs de l’armée de Terre.
Sur le plan sécuritaire, aucun incident grave n’a perturbé le déroulement des Jeux. Sur les sites ou à la télévision, la ferveur olympique a conquis des millions de spectateurs. « En plus d’avoir contribué à la réussite de cet événement exceptionnel, nos militaires ont montré à nos concitoyens, comme aux visiteurs étrangers, une belle image de professionnalisme », conclut le général Abad. Et pour chaque soldat, cette victoire a la même saveur qu’une médaille olympique.