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Percer les lignes ennemies sur l'exercice Royal Blackhawk

Texte : LTN Timothée DÉON

Publié le : 13/09/2023 - Mis à jour le : 14/09/2023. | pictogramme timer Temps de lecture : 10 minutes

Comment manœuvrer contre l'ennemi sans être vu alors que le champ de bataille est aujourd’hui transparent ? C’est ce à quoi les 300 militaires ont tenté de répondre lors de Royal Blackhawk, exercice organisé par le 1er régiment d’artillerie du 12 au 23 juin. En Franche-Comté, l’utilisation des feux d’artillerie combinées à l’emploi de drones et d’équipes de renseignement, a permis de frapper l’adversaire en toute discrétion à partir d’informations transmises en temps réel.

« Dispositif en place, ennemi confirmé sur position, autorisation de destruction accordée ! » La tension est palpable au quartier Ailleret ce lundi 19 juin. Dans le centre opérationnel (CO) du 1er régiment d’artillerie (1er RA), le capitaine S3 3D, en charge de la conduite des moyens artillerie, demande une frappe sur un poste de commandement ennemi. Dans un sous-bois, à plusieurs dizaines de kilomètres de la ligne de front, à l’abri des moyens de détection adverses, un lance-roquettes unitaire (LRU) se prépare à entrer en action.

Ce char de 26 tonnes, équipé de 12 roquettes M31 guidées GPS, détruit des cibles avec une précision métrique à plus de 80 kilomètres de distance. À l’intérieur du blindé, le poste radio grésille, les ordres tombent. Le chef de pièce ordonne à son pilote de rejoindre la position de tir. Le LRU démarre au quart de tour et roule dans un cri strident. Derrière lui un nuage de poussière. Non loin de là, le poste de commandement transmet les coordonnées de la cible à son lanceur.

Sur sa zone de tir, il déploie sa cage. La rampe pivote et s’élève. « Attention je décompte : 3, 2, 1, tirez ! » Le pupitreur, en charge de la conduite de tir du système d’arme, appuie sur le bouton feu. Deux minutes plus tard, un CO ennemi sera détruit. En une poignée de secondes le char abaisse sa cage avant de filer vers une autre zone d’attente. Avant même que l’objectif ne soit frappé, le LRU est déjà embusqué à l’abri des tirs de contre-batterie ennemis.

Provoquer des vulnérabilités

Cette scène se déroule pendant la phase de synthèse de Royal Blackhawk. Organisé chaque année par le 1er régiment d’artillerie en terrain civil et militaire, cet exercice interarmes, interarmées et interalliés prépare les unités aux engagements les plus durs, face à des adversaires équipés de moyens modernes. Blindés légers, pièces d’artillerie, drones d’observation, radars de détection du champ de bataille, plusieurs hélicoptères de combat français et britanniques, des avions de chasse de l’armée de l’Air et de l’Espace ainsi que de la Marine nationale s’affrontent pour cette 10e édition.

Le thème tactique prend en compte les retours d’expérience des conflits symétriques récents. Une division amie se confronte ainsi à une division mécanisée ennemie en posture défensive le long du Doubs. « Depuis vingt ans nous faisions ce que l’on appelle de la contre-insurrection, face à un adversaire mobile et faiblement armé. Le retour de la guerre en Europe oblige à s’adapter à un conflit de haute intensité, contre un ennemi qui dispose des mêmes capacités que nous », relate le lieutenant-colonel Antoine, chef du Bureau opérations-instruction (BOI) du 1er RA et créateur de l’exercice.

Royal Blackhawk s’inscrit dans le cadre du mandat "feux dans la profondeur", développé par le Commandement des forces terrestres (CFT) dans lequel l’artillerie prend tout son sens. Elle vise à générer de l’attrition et provoquer des vulnérabilités chez l’adversaire, par exemple sur sa logistique ou ses capacités de commandement tout en opérant dans un milieu non permissif.

« Pour contraindre l’adversaire, il est d’abord nécessaire de repérer ses atouts comme son artillerie, ses moyens de défense anti-aérienne et ses postes de commandement. Ce sont des cibles à haute valeur ajoutée, ou High Value Target en anglais », précise l’officier supérieur.

Objectifs détruits

Dissimulé dans la lisière d’une épaisse forêt, le détachement d’acquisition dans la profondeur (DAP) du 1er RA a établi une cache d’observation. Composé de contrôleurs aériens avancés (Joint Terminal Attack Controller– JTAC) et d’observateurs d’artillerie (National Fires Observers – NFO), ce groupe de 6 militaires s’est infiltré à pied en pleine nuit au coeur du dispositif ennemi.

« Nous avons eu le renseignement que des pièces d’artillerie et un radar de contre-batterie opéraient ici. Notre mission est de trouver ces objectifs et transmettre leurs positions au CO qui demandera un tir d’artillerie ou une frappe aérienne. Le but est d’affaiblir les positions de l’adversaire, de le modeler avant que nos camarades fantassins et cavaliers s’emparent des points de franchissement », chuchote le lieutenant Pierre-Antoine, chef du DAP.

À une vingtaine de kilomètres de la position du DAP, face à un autre pont traversant le Doubs, un peloton de reconnaissance dans
la profondeur (PRP) du 2e régiment de hussards observe le dispositif défensif de l’ennemi depuis une crête. Ces derniers ont repéré un radar de surveillance adverse. Soudain un hélicoptère AW-159 Wildcat de l’Army Air Corps (Aviation légère de l’armée de Terre britannique) fend le ciel franc-comtois à basse altitude.

Détruire les dernières poches de résistance

« Gun Straff Request !  (Passe canon demandée !) », lance un JTAC du PRP à la radio ne quittant pas l’objectif de ses jumelles Vector. L’hélicoptère d’attaque et de reconnaissance plonge alors sur l’objectif et simule une passe canon. Guidé par le contrôleur aérien, l’aéronef répète plusieurs fois la manoeuvre sur différentes cibles. Les objectifs détruits, les équipiers du PRP décrochent aussitôt de leur position en quad.

Au même moment, la Section d’aide à l’engagement débarqué du 1er régiment d’infanterie s’apprête à embarquer dans un
hélicoptère NH90 Caïman. Escorté par un Tigre et une Gazelle, le Caïman dépose les fantassins sur zone. Ces derniers détruisent les
dernières poches de résistance et s’emparent des points de franchissement. Une fois la route dégagée, une opération combinant l’ensemble des capacités feux est montée pour s’attaquer au poste de commandement de la division mécanisée ennemie stationnée au camp du Valdahon.

Observer sans se dévoiler

Une section d’appui mortier (SAM) est héliportée sur zone par un NH90. L’hélicoptère de manoeuvre et d’assaut effectue deux rotations pour acheminer les mortiers de 120 mm et leurs munitions sur la zone de tir. Démontées en plusieurs fardeaux dans la soute de l’aéronef, les pièces sont débarquées puis rapidement remontées. En quelques minutes, la SAM est prête à faire pleuvoir ses obus. « Feu ! », crient soudain les chefs de pièce. Les tubes laissent échapper une flamme impressionnante.
 

Les artilleurs de l’avant désignent les objectifs et transmettent les demandes de tir par radio à la section. Derrière une butte ils opèrent leurs drones Parrot Anafi et Black Hornet 3 afin d’observer l’arrivée des coups. Les drones du 53e régiment de transmissions transmettent les images en temps réel au CO. Les observateurs d’artillerie sont aidés par un nouveau matériel, le blindé Griffon dans sa version observation d’artillerie.

Encore en test au sein de la Section technique de l’armée de Terre (STAT), cet engin permet d’observer et de désigner des cibles sans se dévoiler et en se protégeant derrière des mouvements de terrain grâce à des capteurs fixés au bout d’un mât télescopique. À l’intérieur, des JTAC français et belges s’occupent de la déconfliction. « Notre rôle est d’assurer la bonne coordination des feux entre l’artillerie et l’ensemble des moyens de la 3e dimension comme les hélicoptères, les avions de chasse et les drones », explique le lieutenant Charlélie, JTAC au 1er régiment d’artillerie.

Les mortiers se taisent

Subitement, les mortiers se taisent. « Show of force Request ! Roz Hot, Gun Cold ! (Passage bas demandé ! voie libre, canons froids !) ». En liaison avec un Mirage 2000-D de l’armée de l’Air et de l’Espace, un JTAC belge vient de demander un passage bas sur les positions adverses. Audible mais invisible dans un premier temps, l’avion de chasse apparaît soudain au-dessus de la cime des arbres. Le jet survole alors la zone à basse altitude avant de subitement remonter dans les nuages. C’est ensuite au tour d’un Rafale de l’imiter. Les deux aéronefs multiplient les missions de Close Air Support (appui aérien rapproché) au profit des forces au sol.

« Cette année, nous travaillons beaucoup la communication. Que ce soit entre les drones l’artillerie, l’aviation et des équipes de renseignement. L’exercice permet ainsi d’entraîner tout le monde, de travailler les procédures, d’affiner la coordination et d’éprouver particulièrement les qualifications des JTAC », détaille le lieutenant-colonel Antoine. L’objectif était le même en 2013, lorsque l’exercice a été créé par deux jeunes militaires du 1er RA : l’actuel chef du Bureau opérations-instruction du Royal Artillerie (surnom donné au 1er RA) alors lieutenant JTAC et le capitaine Gaëtan, aujourd’hui chef de la cellule 3D du régiment.

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