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Manœuvres dissuasives en Pologne

Texte : ADC Anthony THOMAS-TROPHIME

Publié le : 03/06/2024. | pictogramme timer Temps de lecture : 15 minutes

Un groupement tactique interarmes français à dominante infanterie mécanisée, armé par la 7e brigade blindée, s’est déployé à travers l’Europe pour rejoindre la Pologne dans le cadre de l’exercice Dragon 24. Organisée du 29 février au 14 mars par le pays hôte, la participation du détachement français avec huit autres nations alliées a contribué à la posture défensive et dissuasive de l’Otan.

Depuis le pont qui enjambe la Vistule, certains automobilistes ont pu apercevoir des silhouettes inhabituelles naviguer dans la brume matinale. Près d’une centaine de véhicules blindés, dont des chars Leclerc, Léopard 2 ou Abrams, rejoignent Korzeniewo, au nord de la Pologne, sur des ponts mobiles.

Ce franchissement inédit débuté le 5 mars constitue l’une des étapes clef de l’exercice Dragon 24, lui-même intégré à Steadfast Defender. La manœuvre, organisée par le pays hôte, rassemble près de 20 000 soldats de l’Alliance, dont 15 000 issus des forces polonaises, le reste provenant de 8 pays alliés.

Parti de la métropole le 15 février, un groupement tactique interarmes (GTIA) de la 7e brigade blindée, placé sous commandement du 35e régiment d’infanterie (35e RI), a traversé l’Europe pour rejoindre sa destination par voie ferrée puis routière. Le franchissement tactique de la Vistule est un point de passage obligé pour la force multinationale. À l’aide de ses propres moyens, tels que les éléments de franchissement de l’avant (EFA) du génie, elle s’affranchit des ponts.

Le froid et la pluie cinglante n’ont pas d’effet sur le flux transitoire des matériels amphibies polonais, français et allemands. L’interopérabilité est au cœur de cette manœuvre délicate. Chacun transporte les véhicules des uns et des autres sans distinction, selon ses capacités d’emport.

Reconnaissance offensive en terrain libre

Déplacer des engins blindés de plusieurs tonnes sur une distance de 300 mètres, avec un débit d’1m 50 par seconde ne s’improvise pas.

Parmi les embarcations, celles des sapeurs de la compagnie d’appui de franchissement du 19e régiment du génie (19e RG) se distinguent par ses 3 EFA reliés de bout en bout. L’assemblage, long de 88 mètres, supporte deux chars de combat, équipages compris.

C’est une première pour le lieutenant Charlie et ses hommes : « Cet exercice me permet d’engager l’ensemble de mes moyens dans un tout autre environnement. La traversée d’une coupure humide n’est pas une découverte pour nous. C’est une compétence que l’armée de Terre a toujours su maintenir », précise le chef de section.

Le lendemain matin, les détachements poursuivent leur progression sur 350 kilomètres jusqu’au centre d’entraînement Bemowi Piskie, situé à moins de 60 kilomètres de la frontière biélorusse. Le GTIA français s’organise en plusieurs convois. D’un côté les engins à roues, tels que le VBCI, le PVP et le VT4, empruntent les routes.

De l’autre, les chars Leclerc effectuent une reconnaissance offensive en terrain libre. Ces derniers, rejoints par les chars Abrams américains et Léopard 2 polonais, privilégient les pistes à travers campagnes et villages. En évitant d’emprunter les axes routiers sur des engins porteurs, ils peuvent se disperser plus rapidement en cas d’attaque et sont donc moins vulnérables.

« Je vis le quotidien d’un fantassin »

3 jours plus tard, tous les détachements sont rassemblés sur le champ de tir “tank range”, pour assister au safety brief, un rappel des consignes de sécurité et des bonnes pratiques du site. Les compagnies du 35e RI participent à une manœuvre défensive rétrograde face à l’offensive ennemie, composée d’une force adverse simulée par une compagnie mécanisée polonaise.

Dans l’un des VBCI, la décontraction règne sous la lumière rouge des plafonniers. Entre deux secousses du blindé en progression, à l’ordre du jour, le repas que chacun dégustera une fois de retour chez soi. À la radio, les compte rendus fusent et indiquent la situation tactique en temps réel.

Le véhicule s’arrête. « Débarquez ! » En quelques secondes, les fantassins basculent en mode combat et sortent, armes au poing, à la lumière du jour. Le groupe est posté dans un creux de terrain entre des fougères et surveille son secteur. Quelques minutes plus tard, une fumée blanche trahit la présence de chenillés ennemis.

Devant eux, des soldats armés progressent à portée de tirs. Aussitôt, le chef de groupe ordonne l’ouverture du feu au VBCI et ses équipes. « Chargeur ! », s’écrie l’un des tireurs. « Je prends ! », répond aussitôt la caporal Océane en couvrant son binôme, lequel recharge son arme. Seule femme dans le groupe de combat, la réserviste a quitté son poste de caissière dans un centre commercial pour participer à Dragon 24 avec son régiment.

« J’ai été accueillie comme l’un des leurs, confie l’Alsacienne de vingt-et-un ans, ça change des missions Sentinelle dont j’ai l’habitude. Là je vis le quotidien d’un fantassin de combat mécanisé. » Le chef de corps du 35e RI a décidé d’intégrer des réservistes dans ses unités. L’objectif est double : les faire monter en gamme en développant leur intégration interarmes et montrer aux soldats d’active qu’ils sont capables de les renforcer de manière crédible.

La tension est palpable

Mercredi 13 mars, 20 heures. La nuit et le froid se sont installés sur le vaste champ de tirs à ciel ouvert de Red Diamond. Les VBCI d’une compagnie du 35e RI et les chars Léopard 2 d’un escadron polonais prennent position sur un front défensif de plus de deux kilomètres. Postés sur la ligne de tirs, face à la sombre immensité, les soldats ont une visibilité réduite, malgré les dispositifs de vision nocturne.

La tension est palpable. Soudain, les balles traçantes rouge vif et les obus de 120 mm déchirent l’obscurité dans un fracas de détonations. Alors que les blindés ouvrent le bal, le sol tremble sous le corps des soldats allongés. Ici et là, quelques fusées éclairantes fendent le ciel en chuintant, offrant une lumière diffuse de quelques secondes en retombant, le temps nécessaire aux tireurs pour détruire les cibles dressées devant eux.

À l’instar de cet entraînement nocturne, d’autres ont animé le GTIA français : mise en œuvre d’explosifs pour les sapeurs du 19e RG, séances de tirs pour les chars Leclerc du 5e régiment de dragons et guidage de tirs d’artillerie pour une équipe d’observateurs du 68e régiment d’artillerie.

« Sur la même longueur d’onde »

Cette dernière phase à Bemowo Piskie a demandé aux Français et à leurs partenaires, une préparation en amont pour développer leur interopérabilité à la fois technique et tactique. Cela implique de connaître aussi bien les capacités de tirs des équipements de chacun que la mise en commun des procédures.

Par ailleurs l’adjudant Adrien, référent tir au COMECIA, s’est coordonné au préalable avec ses homologues polonais afin de construire et adapter les séances. « Je leur ai transmis le plan de cible qu’on voulait jouer chaque jour, pour leur laisser le temps de préparer la ciblerie. » Sur place, l’adjudant est le contact français privilégié de ces derniers, dont la volonté est de réaliser des tirs en interalliés. « D’ailleurs la coordination avec l’un mes principaux interlocuteurs s’est très bien passée. Tankiste tout comme moi, nous étions sur la même longueur d’onde », complète-t-il.

Au matin de la manœuvre finale, les directeurs de tirs polonais, américains et français ont une vue imprenable sur le champ de tir depuis la tour d’observation de Red Diamond. Le premier échelon lourd ennemi a été détruit durant les précédentes phases défensives libérant ainsi un espace de terrain. L’occasion pour la force multinationale de passer à l’offensive. Tout en délivrant des tirs en mouvement, les chars polonais et américains s’emparent du terrain sur un kilomètre.

Les VBCI du 35e RI rejoignent le dispositif avancé pour détruire les objectifs restants. Pour finir, les Leclerc relèvent les Léopard 2 et vident leurs casiers d’obus pour réduire la dernière poche de résistance. L’écho de l’ultime coup de canon sonne la fin de ces 2 semaines de manœuvre. Un coup de tonnerre supplémentaire à l’est de l’Europe.

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