Formés pour combattre en Ukraine
Texte : Aspirant Emilien Lamadie
Publié le : 12/01/2025 - Mis à jour le : 13/01/2025. | Temps de lecture : 10 minutes
Mille jours après le début de la guerre, la France continue d’apporter son soutien aux combattants ukrainiens. Une aide plus que jamais nécessaire. L’armée de Terre a ainsi formé une brigade de plus de 2 000 soldats ukrainiens dans les camps militaires de Champagne entre septembre et novembre 2024. Ce partenariat de combat calqué sur la réalité du terrain et des conflits hybrides s’y déroulant, constitue un investissement inédit.
Mardi 12 novembre, 13h30. Armés de leur AKM-47 les hommes du troisième bataillon de la brigade Anne de Kiev sont postés de part et d’autre de la tranchée depuis midi. Dans le ciel gris, les drones virevoltent. Leur bourdonnement incessant est soudain interrompu par le vrombissement d’un hélicoptère en approche. «Xовайся!» (À couvert !) ordonne le commandant d’unité. Les soldats ukrainiens se cachent. L’appareil arrive sur place en une dizaine de secondes.
Plus aucune tête n’est alors visible : cachés dans leurs abris enterrés, les combattants attendent le départ de l’aéronef. Les regards sont braqués vers le ciel. Réplique parfaite du champ de bataille, cette scène s’apparente à celles se déroulant dans le Donbass, tant médiatisées. Nous sommes cependant en France, dans le Grand Est, bien loin du front situé à plus de 2 500 kilomètres. La troupe est ici en instruction sous la tutelle de la Task force Champagne, un regroupement de 1 500 militaires français.
Ces derniers forment depuis mi-septembre près de 2 000 soldats ukrainiens. Cette opération intervient après un accord entre les présidents des deux pays. Objectif : préparer ces soldats au combat en seulement deux mois. « Du 11 au 15 novembre 2024, ils restituent l’ensemble de leur apprentissage, développe le lieutenant-colonel Nicolas, chef opération du groupement entraînement-formation. Ils défendent un village et deux réseaux de tranchées d’environ un kilomètre chacun, en autonomie complète, le tout sous le regard attentif des instructeurs français ».
Quelques minutes plus tard, l’aéronef a disparu, la vie reprend dans les souterrains. Là où certains poursuivent la surveillance, le regard porté vers la zone dangereuse au nord, d’autres, enfouis au fond de ces alvéoles en bois de sapin, se préparent un café, avalent une barre de céréales ou fument une cigarette. Le bruit caractéristique des drones est à nouveau audible.
Depuis le début du conflit, la France a formé plus de 15 000 soldats ukrainiens.
La base est hétérogène
Les combattants sont un mélange de vétérans et de mobilisés. « Les accueillir en France est un gage d’efficacité et de sérénité dans leur préparation opérationnelle, car les camps d’entraînement en Ukraine constituent des cibles privilégiées des frappes russes, assure le colonel Guillaume, chef d’état-major de la Task Force. Les expressions déterminées de leurs visages montrent l’urgence de la situation. Ils sont attentifs et soucieux d’apprendre vite et bien.»
Partageant ses compétences et connaissances, l’armée de Terre a aussi équipé la brigade Anne de Kiev en engins blindés, chars et missiles : VAB, AMX 10 RCR, Mistral, Caesar, Milan… Ce sont plus de 200 véhicules et armements qu’elle reçoit et doit désormais maîtriser. Sur le terrain, les gestes des Ukrainiens traduisent une certaine aisance sur le canon Caesar, auquel ils sont déjà accoutumés. À l’inverse, ils ne connaissent pas les missiles transportables antiaériens légers (Mistral).
« Ils n’en avaient jamais touché avant, explique le caporal-chef Hafidhou, chef de pièce. On leur enseigne les bases et comment mettre l’appareil en place rapidement. Après une semaine, ils sont à l’aise. » Les instructeurs français s’adaptent en fonction de leurs besoins. « La finalité est de les préparer à un combat difficile et imminent », insiste le lieutenant Charles, qui conseille un commandant d’unité ukrainien.
Anne de Kyiv, surnommée Anne d’Ukraine a été reine de France sous le règne d’Henri 1er. Son nom, porté par la brigade ukrainienne, représente la connexion historique et culturelle entre les deux pays.
L’échange mutuel
Certains aspects de la formation ont été modifiés ou ajoutés, à la demande du partenaire. Elle a été en permanence ajustée pour correspondre aux demandes des Ukrainiens. Une nécessité pour s'adapter en temps réel aux évolutions de l'affrontement en cours. Sons d’ambiance, fumigènes et grenades… un parcours d’accoutumance a, par exemple, été organisé. Il plonge les hommes en situation de stress intense. Les échanges quotidiens témoignent du climat de confiance entre les deux nations. Entraîner des soldats qui seront engagés au combat dans les tranchées du front d’ici quelques semaines, fait prendre du recul aux instructeurs.
Non loin des tranchées en effervescence, la section drone du bataillon ukrainien est en pleine activité. Quatre quadricoptères survolent constamment la zone : aucun centimètre carré n’échappe à leur surveillance. Ils ne ratent rien. Leurs images sont retransmises en direct sur les écrans du poste de commandement.
La maîtrise de ces appareils volants par les Ukrainiens est évidente. « Nous regardons leur fonctionnement avec les drones. Ils en ont un emploi plus fluide que nous, libre des contraintes réglementaires, affirme le colonel Paul chef du groupement de formation infanterie. Ils s'en servent constamment, en particulier en cas de tirs d’artillerie pour guider et observer les tirs. »
Des efforts qui payent
Pour cette opération exceptionnelle, les bataillons de la brigade Anne de Kiev passent chacun leur tour. «L’apprentissage que l’on fournit est “large spectre”, c’est-à-dire qu’elle concerne une variété d’armes différentes et couvre tous les niveaux de commandement », insiste le colonel Guillaume, chef d’état-major de la Task force Champagne. Les spécialistes, regroupant les artilleurs, les sapeurs et les équipages de blindés et autres se sont d’abord exercés sur les matériels correspondant à leurs emplois respectifs.
Ensuite, les fantassins se sont préparés progressivement pendant 4 semaines, du niveau individuel à celui de bataillon. En parallèle, les cadres de l’état-major de la brigade, vétérans en majorité, se sont exercés sur les cartes et ont suivi des cours pour consolider leurs méthodes de conception, planification et conduite de manœuvre.
13 novembre, retour sur le terrain. Après une relève aux alentours de deux heures du matin, le 2e bataillon s’installe à son tour dans les tranchées, pour 24 heures.
En fin de matinée, des coups de feu retentissent au loin. Cinq minutes plus tard, masqué par les fumigènes, l’ennemi lance l’assaut. Les plastrons vêtus de noir se jettent dans la saignée de terre repoussant les Ukrainiens. L’intensification des feux fait vibrer les parois de terre. En quelques minutes, un quart de la tranchée est tenue par l’adversaire. Mais avant qu’il ne puisse relancer son offensive, la contre-attaque se met en place et la situation est rétablie en moins de trente minutes. Toute cette action se déroule sous la supervision des Français évaluant les modes d’action des recrues.
« Les Ukrainiens se sont coordonnés pour mener une contre-attaque. En quelques minutes, leurs blindés sont arrivés sur zone pour fixer les assaillants. Cet appui a permis aux fantassins de débarquer et de s’introduire dans les méandres des tunnels de terre pour mener leur assaut », commente le lieutenant Pierre, chef de la Force adverse. Cette séquence démontre l’ampleur des progrès réalisés en seulement deux mois de formation. Résultat d’un investissement logistique et humain inédit de l’armée de Terre pour donner à son partenaire les armes pour tenir le choc.
Les dates clés du conflit en Ukraine
- 20 février 2014 : annexion de la Crimée par la Russie
- 22 février 2022 : début de l’invasion de l’Ukraine par la Russie
- Fin février 2022 : la France livre des missiles antichars, antiaériens à l’Ukraine
- 1er avril 2022 : découverte des crimes de Boutcha
- 4 janvier 2023 : annonce d’une première cession de chars AMX-10RC à l’Ukraine
- 8 juin 2023 : contre-offensive ukrainienne
- 1er février 2024 : l’Union européenne s’accorde pour donner 50 milliards d’euros à l’Ukraine sur 4 ans.