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Adjudant Sophia, linguiste

La guerre des mots

Texte : CNE Justine de RIBET

Publié le : 13/09/2024. | pictogramme timer Temps de lecture : 5 minutes

En opérations extérieures comme sur le territoire national, l’adjudant Sophia, linguiste au 54e régiment de Transmissions intercepte, écoute et traduit. Passionnée, pleine de détermination et de projets, elle vit à fond chaque instant offert par son métier depuis dix ans. Exceptionnellement, elle a accepté de partager cet univers quelque peu secret.

Au bout du fil, sa voix est douce et posée. Malgré l’appréhension, elle ne laisse rien transparaître. Parler de soi n’est jamais un exercice facile. L’adjudant Sophia est linguiste au 54e régiment de transmissions (54e RT) à Haguenau depuis août 2014. Petite, elle est bercée par l’histoire de son grand-père, combattant lors de la guerre d’Indochine. Elle ne le connaît pas mais admire ce grand personnage dont elle entend souvent les récits contés par ses proches. Comme lui, elle souhaite embrasser une carrière militaire. « Mon parcours est assez peu commun », dit-elle en riant. Son cœur balance entre la Gendarmerie et l’armée de Terre. 

Sophia décide finalement de signer un premier contrat comme gendarme volontaire adjoint à la Brigade de recherche et d’intervention judiciaire de Chambéry. Très vite, son chef remarque son aisance pour l’écoute et la traduction en langue arabe. Elle apporte son expertise lors des enquêtes. « À ce moment-là, je me sens à ma place ». Au bout d’un an, pour des raisons personnelles, elle prend une décision difficile et met un terme à son contrat. Mais la jeune femme réalise qu’elle risque de passer à côté de sa vocation et repasse des tests pour devenir sous-officier dans l’armée de Terre.

Le saviez-vous ?

Le 54e régiment de transmissions compte une trentaine de linguistes en langue arabe.

« La vie de nos camarades en dépend »

Lorsqu’elle évoque ses huit mois à Saint-Maixent, une pointe de nostalgie se fait sentir. « Ma formation a eu l’effet d’une bouffée d’air frais. » La fierté qu’elle décèle dans les yeux de ses parents lors de la cérémonie de remise de galons la conforte dans son choix. Le soutien de sa famille est important. S’ensuit une formation de deux ans au Centre de formation interarmées au renseignement (CFIAR) à Strasbourg. Elle s’y perfectionne. Là-bas, elle croise le chemin d’un adjudant-chef linguiste arabe du 54e RT, expert dans le domaine. 

Sa présentation a l’effet d’un électrochoc : elle veut rejoindre ce régiment. Au CFIAR, elle est confrontée à sa première urgence opérationnelle. Pendant plusieurs mois, elle traduit, dans un délai contraint, des documents provenant directement d’un théâtre d’opération tenu secret. Les actions sur le terrain découlent de la traduction des documents interceptés. « Le doute n’a pas sa place ici. La vie de nos camarades en dépend. » Cette expérience renforce son envie de rejoindre sa future unité et d’être confrontée au terrain.

« S’il m’arrive quelque chose, soyez fiers »

« Partir c’est la concrétisation de mon métier. » En 2015, son vœu est exaucé. Jeune sergent, elle est déployée sur l’opération Barkhane, au Sahel. Elle y exerce à la fois le métier de linguiste et celui de combattant. « Je suis soldat à part entière et spécialiste. » Pendant les patrouilles, elle se trouve à l’arrière d’un véhicule de l’avant blindé (VAB), sur le terrain, elle collecte du renseignement d’origine humain et traduit. Ce premier mandat est intense. En mission, le VAB précédant le sien roule sur un engin explosif improvisé. Une semaine après, le véhicule dans lequel elle se trouve subit le même sort. 

Le lendemain, le camp de Tessalit accuse une attaque d’obus. « C’était éprouvant ». Qu’à cela ne tienne, elle connaît les risques du métier et le sens du sacrifice ultime. Malgré un déploiement semé d’événements et de blessures, Sophia fait preuve d’une détermination déroutante et reste jusqu’à la fin du mandat. Avant chaque départ, elle dit à ses parents : « C’est mon choix. S’il m’arrive quelque chose, soyez fiers. » En 2016, elle rejoint l’opération Sabre aux côtés des forces spéciales. En tout, elle en a effectué six en qualité de linguiste. Elle y découvre un univers où la confidentialité et le secret priment. Lors de son premier mandat, elle a reçu la médaille de la valeur militaire. « J’étais à la fois gênée et honorée. » 

Lors de ces missions, le mot “bienveillance” revient souvent. Passionnée par la cuisine, quand elle n’est pas à son poste, elle prend le temps de concocter des petits plats pour ses camarades. « Cela fait partie de mon éducation. J’aime prendre soin des autres. » Tout comme son régiment le fait à son égard. « Je dois beaucoup au 54e RT qui me soutient dans mon cursus professionnel. Je lui suis reconnaissante. » Elle ne nous dévoile pas de quoi sera fait demain, mais préfère laisser libre cours à notre imagination pour songer à un avenir prometteur dans les hautes sphères secrètes des armées.

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