« Ce que sera l’armée de Terre demain »

Dans notre histoire, les grandes victoires ont toujours été précédées de grands moments de doute, et parfois même de dures défaites. Ainsi, notre armée de terre a été vaincue en 1870 par l'armée prussienne parce qu'elle accusait un retard à la fois technologique et logistique. Son organisation était déficiente et déformée par des engagements en grande majorité expéditionnaires. L'armée française avait renoncé à penser sa propre action en termes stratégiques face à un adversaire qu'elle avait délibérément ignoré.

Ainsi, une armée qui faisait la guerre sans la penser avait été vaincue par une armée qui pensait la guerre sans la faire. C’est ce même questionnement stratégique, lucide, sans concession sur nous-même, qui permirent aux gaullistes dans les années 1960 de lancer des transformations qui furent salutaires. Aujourd’hui encore, nous devons apprendre de nos échecs et ne pas cesser de douter, d’interroger ce qu’est l’armée de Terre, son modèle, ses moyens et ses missions pour la préparer face à de nouvelles menaces qui découlent - ou qui sont le reflet - de bouleversements géopolitiques et de ruptures technologiques. 

Nous le faisons par un ambitieux projet de transformation baptisé « armée de terre de combat », lancé par son chef d'état-major, le général d’armée Pierre Schill. Il s'agit pour l'armée de Terre d'ajuster son organisation et son fonctionnement pour être prête d'emblée, d'accentuer ses efforts sur l'innovation et de se considérer désormais comme une armée de haute technologie, faisant référence pour nos alliés, qu’ils soient membres ou non de l’Otan. 

L'armée de Terre porte en elle historiquement la conscience de son rôle majeur au service de la résilience du pays. Une nation qui ne serait pas prête au sacrifice de ses fils et de ses filles ne pourrait peser stratégiquement face à ses compétiteurs. Ce sentiment doit être protégé et préservé pour demain. En résumé, il s'agit de trouver le bon équilibre entre les matériels et les hommes, la technologie et le courage, la cohérence et la masse, dans un esprit tourné vers les conflits à venir et non vers ceux du passé. 

Une armée stratégique

C’est donc tout d’abord un changement culturel que nous devons opérer, il s'agit de rapprocher le fonctionnement en temps de paix du fonctionnement en temps de guerre, en repositionnant le commandement au centre des organisations, dans une logique guidée par trois principes : la responsabilité (celui qui doit rendre des comptes possède véritablement les leviers pour agir), la subsidiarité (ce qui peut être fait par un subordonné doit l'être) et la réactivité (qui s'appuie fortement sur les deux premiers). 

C’est ensuite une transformation des missions confiées à l’armée de Terre. Les ruptures technologiques récentes autour de la robotique, de l'intelligence artificielle, de la numérisation du combat, ainsi que l'émergence de nouveaux milieux de confrontation comme l'espace ou le cyber, militent pour un virage de l'armée de Terre. Certes, il y aura toujours besoin de canons pour remporter la bataille et de soldats pour tenir le terrain. 

Mais la révolution numérique et robotique place, d'une certaine façon, le soldat et ses équipements traditionnels en deuxième plan dans ces affrontements d'un nouveau genre. Moins de fantassins et davantage de cybercombattants, c'est l'esprit de la transformation en cours qui va faire évoluer, dans un premier temps, 9 000 postes d'ici à 2030. La transformation qui est en marche ne produira tous ses résultats qu'à une seule condition : que l'armée de Terre se pense davantage comme une armée stratégique.

 Cela passe par une révolution culturelle déjà engagée, mais qui doit être poursuivie avec ténacité par l’ensemble de la chaîne de commandement. Après les années 1960 et 1990, la période à venir promet une rupture en profondeur : si elle n'est pas réussie, nous serons condamnés au déclassement. Mais je sais que, fidèles à leur histoire, les soldats sauront s’emparer de ces défis pour garantir demain, le succès des armes de la France.