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Une armée de Terre moderne et innovante

Texte : CNE Stéphanie RIGOT

Publié le : 28/02/2023 - Mis à jour le : 15/03/2023.

De la cartographie numérisée au système ʺFélinʺ, la numérisation de l’espace de bataille a marqué ces vingt dernières années. Dans les années 2000, l’armée de Terre a intégré des technologies permettant l’accès à l’information en temps réel. Les forces terrestres basculent aujourd’hui dans une phase de transformation plus globale dans laquelle les alliés ont toute leur place. Elle concerne les équipements, les innovations technologiques ou d’usage mais aussi des outils pour développer la réflexion stratégique. De nouveaux acteurs sont apparus comme l’Agence de l’innovation de Défense et le Battle Lab terre. Ils œuvrent, en lien avec les industriels, pour identifier et développer le matériel de demain. Toutes ces nouveautés, des systèmes d’information à l’équipement individuel, sont adaptées aux besoins des utilisateurs sur le terrain.

Penser en équipe

L’armée française est présente au sein du Commandement allié pour la transformation de l’Otan. Aux côtés de ses alliés, la France participe aux réflexions sur les combats de demain. Les enjeux de ce travail collaboratif sont d’anticiper les futurs conflits et maximiser l’interopérabilité.

« On estime que la pleine puissance d’un programme est atteinte en vingt ans », déclare le colonel Aymeric, représentant français de liaison au Commandement allié pour la transformation ou Allied Command Transformation (ACT) de l'Otan à Norfolk. Pour lui, il est important de planifier l'avenir en regardant de près les guerres d'aujourd'hui et leurs évolutions potentielles, en travaillant avec les 30, bientôt 32, pays de l'Alliance. Une approche à 360°, en associant nos partenaires, l’industrie, les universités.

D’autant plus que l’innovation technologique qui impactera les guerres de demain est aujourd’hui surtout produite par des entreprises et initiatives privées. Cette réflexion commune doit aboutir à la définition de plans doctrinaux, un système d'organisation solide et des processus décisionnels plus agiles. Une nécessité pour le colonel Jérôme, adjoint de l'officier général des relations internationales de l'armée de Terre : « À de rares exceptions près, nous ne pouvons plus combattre seuls ». 

Les défis du futur

Aux États-Unis, la base de Norfolk (Virginie) accueille près de 80 militaires français des trois armées. La France est la nation la plus représentée après les Américains à l'ACT. « Nous sommes clairement ambitieux et cherchons à maximiser l'interopérabilité, souligne le colonel Aymeric L'interopérabilité de demain c’est la raison d’être d’ACT. » Des programmes sont en place pour améliorer les échanges dans tous les domaines opérationnels, y compris la branche innovation.

L'ACT réfléchit aussi à l’intégration de l’intelligence artificielle, du quantique, ou des missiles hypersoniques dans les réflexions capacitaires. Le but ? Garantir la crédibilité de la posture de l'Otan. Grâce à un concentrateur d’innovations (un hub) au sein de l'ACT, les développeurs et les utilisateurs sont mis en contact pour identifier les défis auxquels ces derniers sont confrontés.

En matière de réflexion stratégique, le wargame est utilisé pour développer des hypothèses dans des domaines opérationnels multiples (terre, air mer, cyberespace) . En décembre 2022, a eu lieu le premier forum international Wargaming Initiative for Nato22, initiative franco-italienne, co-organisée par l'ACT. L’armée de Terre s’imprègne de plus en plus de cet outil. En novembre dernier, l’École de guerre a organisé aux Invalides, un wargame avec des Américains et des Européens.

Jour zéro

Pour garantir une interopérabilité optimale dès le début d'une opération, la préparation à long terme est nécessaire. C’est ce que l’on appelle le ʺtemps long des opérationsʺ. L’adjoint du pôle relations internationales de l’armée de Terre précise : « L'interopérabilité ne se décrète pas, elle se prépare et se travaille à tous niveaux ». Pour le chef d’état-major de l’armée de Terre, l’interopérabilité est une priorité, en particulier avec nos plus grands alliés, les États-Unis, le Royaume-Uni ou encore l'Allemagne. La capacité à travailler en collaboration avec nos partenaires est essentielle pour la réussite de notre armée.

Le meilleur exemple à ce jour reste la coopération franco-belge de capacité motorisée (CaMo). Au jour zéro d’une opération, Français et Belges sont interopérables à 100 %. Pour y parvenir avec le reste des partenaires, la méthodologie Dorese (doctrine, organisation, ressources humaines, équipements, soutien des forces, entraînement) doit être appliquée. Elle permet une approche globale des capacités, en prenant en compte non seulement les équipements, mais également les ressources humaines et les doctrines.

Le saviez-vous ?

Sous commandement américain, l'exercice Convergence 2024 permettra de tester l’interopérabilité en situation réelle dans la préparation au combat du futur.

De l’idée au concret

L’armée de Terre est impliquée dans de nombreux projets d’innovation visant à conserver sa supériorité opérationnelle. Pour cela, elle peut s’appuyer sur l’agence de l’innovation de défense et ses centaines de projets novateurs d’intérêt pour la Défense. Elle peut aussi compter sur les experts du Battle Lab Terre qui mènent au quotidien des explorations sur des systèmes automatisés et numérisés.

Le saviez-vous ?

Le drone Avatar est une plateforme légère sur lequel a été monté un HK 416. Initiés par le BLT et menés par la Direction générale de l’armement, des tirs d’essais sont en cours à Bourges.

« L’innovation c’est comme un 4x100 mètres, il faut que tout le monde court suffisamment vite en se passant bien le relais pour que cela fonctionne », dépeint le colonel Emmanuel du bureau stratégie et technologies de défense de l’Agence de l’innovation de défense (AID). Créée en 2018, cette entité du ministère des Armées soutient l’innovation interne et pilote des projets de recherche, d’accélération de l’innovation technologique de Défense. La même année, le Battle Lab Terre (BLT) a vu le jour. Pôle d’innovation phare pour l’armée de Terre, cette structure, sous commandement de la Section technique de l’armée de Terre (STAT), travaille sur des projets de robots, de drones ou d’équipements individuels du combattant.

Ces deux acteurs de l’innovation opèrent en synergie avec tous les écosystèmes militaires ou civils afin d’apporter une réponse aux besoins opérationnels des unités en exploitant les opportunités que peuvent fournir les laboratoires, les entreprises civiles : comme avec le robot armé de la société Milrem en cours d’exploration par le BLT. Par ailleurs, pour la première fois un robot équipé d’un tourelleau téléopéré a réalisé un tir à balles réelles, et plusieurs projets sont passés à l’échelle.

Un robot armé

Le processus d'exploration au BLT suit une méthodologie rigoureuse. Tout d'abord, un projet est capté et une fiche Happi, outil de suivi des projets, est soumise à l'AID. Vient une phase d’acquisition (ou de prêt) auprès de l’industriel. Un comité de coordination se réunit pour ensuite inscrire le projet au plan de charge du BLT. Une exploration est menée et une synthèse, avec recommandations, est rendue au bureau plans-programmes de l’état-major de l’armée de Terre. Le passage à l’échelle sera ensuite décidé en commission, avec l’AID.

L’équipe du commandant Jean-Charles du BLT, était composée de quatre spécialistes (2 sous-officiers du BLT renforcés par 2 militaires du rang de la section exploratoire robotique du Cenzub-94eRI) a travaillé sur l’exploration d’un robot armé, n Thémis prêté par la société Milrem à l’armée de Terre. Ce dernier est équipé d’un tourelleau Defender medium de la société FN Herstal.

Trois séquences "exploratoires" ont été conduites. Etape n°1: connaître la mobilité du robot, ses capacités de franchissement, de déplacement et ses fonctions d’autonomie. Puis les experts ont étudié le comportement du pilote et de l'opérateur du tourelleau en particulier en télé-opération hors vue. L’exploration s’est concrétisée, pour la première fois, par un tir à balles réelles pour étudier la réaction du robot au moment du déclenchement du feu et la mise en œuvre de la ligne de tir permettant à l’opérateur du tourelleau de le déclencher hors des vues. « Les résultats sont très concluants », annonce le chef d’équipe du BLT. Parmi les quatre à cinq projets par an du commandant, le dernier repose sur l’exploration d’un nouveau dispositif de pilotage par vision infrarouge pour VBCI.

Passage à l’échelle

En 2019, un projet de technologie de Défense ambitieux est lancé par l’AID, le projet Centurion. Il impose à Thalès et Safran de s’ouvrir à l’innovation qui arrive de l’extérieur. Ce ne sont plus les technologies qui sont données aux forces, ce sont les forces qui testent un projet pour en faire un retour d’expérience. Vingt-et-un projets ont été menés en trois ans. L’ultime objectif est le passage à l’échelle en vue d’un futur déploiement. Testées au 35e régiment d’infanterie en octobre 2022, les jumelles à vision nocturne connectées ont remporté un franc succès et doivent faire l'objet d'évaluations complémentaires lorsque cette technologie sera plus développée. Une nouvelle version du casque lourd "F3 TAP +" sera évaluée en avril 2023.

Du côté de la STAT, le premier projet passant à l’échelle est le système Elity. Ce boîtier calculateur balistique ʺtout-en-unʺ est un dispositif d'aide aux tireurs d'élite, qui paramètre les huit à neuf occurrences avant un tir. La phase de détection-neutralisation est réduite de 40 % et le tireur d’élite est soulagé de 6 kilos de matériel. L'intégration d’Elity dans le système d’information du combat Scorpion débarqué fait l'objet d'évaluations complémentaires.

Équipement sous haute fréquence

Sur le terrain, le combattant est équipé de systèmes connectés. Ils lui confèrent un gain d’efficacité tactique. Tablettes, smartphones… Ces matériels bénéficient d’un suivi particulier qui permet de gagner du temps dans leur entretien et leur emploi.

Le commandant Nicolas, officier de marque du système d’information du combat Scorpion (SICS) à la STAT, a créé le "calculateur à pied de niveau cinq", le CAP N5, un système de numérisation débarqué dédié au commandant d’unité. Il permet au chef de disposer d’informations en temps réel en provenance de ses éléments déployés et d’adapter sa manœuvre si besoin.

Ce système sur tablette a un avantage majeur : son faible encombrement, environ un kilo. Il est facile à transporter et à utiliser. « Cela permet aux unités de disposer de systèmes numériques compacts et légers, sans sacrifier la performance », souligne le commandant Nicolas, co-créateur du système.

D'ici à l’été 2023, chaque régiment de l’infanterie recevra une dizaine de kits complets. Le CAP N5 complète le SICS débarqué, « un ensemble d'applications tactiques sur smartphone ou tablettes destiné aux chefs de section, aux sous-officiers adjoints, aux chefs de groupe et chefs de groupe spécialisé, pour les aider à améliorer leur travail sur le terrain », explique le chef de bataillon Olivier.

Géolocalisation en temps réel

Toutes les fonctionnalités sont accessibles sur un seul terminal, grâce à une connexion sans fil compatible avec le système Félin et le PR4G. « Si le réseau plante, il est possible de travailler en mode local avec une télémétrie enregistrée », précise le chef de bataillon Olivier. L'interface est unique et interopérable avec SICS. C’est-à-dire que toutes les informations seront visibles dans les véhicules Scorpion et les postes à bord, lorsque les fonctionnalités auront été développées. Le SICS débarqué permet au chef de section de gérer son dispositif et d'affecter un soldat d’un groupe vers un autre.

Pour cela il devra renseigner son action dans le terminal. Le commandant d'unité aura une meilleure visibilité de ce qui se passe sur le terrain grâce à la géolocalisation en temps réel de ses sections. Il gagnera en réactivité sur sa manœuvre tactique. SICS débarqué est conçu pour être fluide et ergonomique, en utilisant le moins de clics possible pour une action et en offrant une lisibilité directe des informations demandées. La version 1.1 sera livrée aux unités d’ici à septembre 2023.

Meilleure traçabilité

Depuis 2018, la SIMMT a déployé la RFID (Radio Frequency Identification) pour suivre et gérer l'inventaire des matériels et équipements des combattants. Cette technologie utilise des étiquettes électroniques pouvant être lues à distance grâce à un terminal mobile comme un smartphone ou une tablette. Les données collectées sur ces étiquettes permettent aux unités élémentaires d'avoir une vue complète et en temps réel de leurs équipements disponibles. D’ici fin 2023, 150 000 étiquettes seront apposées sur les matériels des forces.

« Les unités élémentaires pourront utiliser cette technologie pour une gestion plus efficace de leurs matériels, avec une fiabilité accrue et une meilleure traçabilité des mouvements », expose Laurent, chef du bureau d’expertise technique de la SIMMT. La numérisation de l'utilisation des matériels permet de mieux comprendre les besoins en maintenance et d'améliorer la gestion du maintien en condition opérationnelle.

Un système de compteur de coups est en cours d’évaluation par la SIMMT. Grâce à une étiquette RFID, l’armurier sera en mesure de savoir combien de coups ont été tirés avec une arme. Cela permettra d'éviter des opérations inutiles et de réduire les heures de maintenance. À terme, les carnets de tirs seront dématérialisés pour une gestion plus efficace des données.

Le saviez-vous ?

Carnet de bord numérique : le système RFID permettra de mesurer les durées d'entraînement des équipages grâce à un carnet de bord numérique.

L’utilisateur au centre des réflexions

Au sein de la Section technique de l’armée de Terre, une cellule s’affaire autour des questions liées au facteur humain dans les programmes d’armement. Elle recueille les besoins des utilisateurs grâce à l’analyse de l’activité pour donner des recommandations en vue de faciliter l’usage et l’emploi des équipements.

La lieutenant Sybille est en poste à la STAT depuis 2018. À la tête d’une équipe de quatre personnes, elle occupe une fonction particulière et méconnue. Dotée d’une double compétence en psychologie du travail et en ergonomie, elle appuie les équipes de marque dans les évaluations de nouveaux matériels. Elle teste en conditions réelles les équipements en se mettant dans la peau du combattant. « Pour qu'un utilisateur ne soit pas réfractaire à l'usage d’un nouvel équipement, d’une nouvelle technologie.Il faut que l’outil soit conçu en accord avec le fonctionnement humain », explique-t-elle.

Des aides pour l’homme

Pour qu’une interface homme-machine soit efficace, sa conception doit respecter des critères utilisés comme le guidage, l’adaptabilité, la cohérence. « Les outils ne doivent pas être considérés comme des substituts à l'être humain. Au contraire, ils doivent être envisagés comme des aides pour l’hommeLa complexification des nouvelles technologies peut augmenter la charge cognitive pour le combattant et être source de stress », rappelle la lieutenant Sybille. Pour cette raison, il est important de tenir compte de l'expérience utilisateur. Les outils sont testés sur un échantillon représentatif, pour s'assurer qu’ils correspondront à tous.

L’équipe du lieutenant Sybille participera à l’évaluation du Serval en condition grand froid au mois de mars. Après avoir pris part à son évaluation dans un climat désertique, l’objectif sera de vérifier l’adéquation entre le besoin opérationnel (vie à bord, emports des équipements) et les fonctions du véhicule dans un environnement hivernal.

Le saviez-vous ?

C’est quoi la charge cognitive ? Quand notre cerveau traite trop d’informations en même temps, alors que ses capacités sont limitées, il arrive à saturation. Cette saturation, souvent prolongée, provoque un état de stress et une diminution des performances cognitives.