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Une armée de partenaires

Texte : Clémentine HOTTEKIET- -BEAUCOURT

Publié le : 13/04/2023 - Mis à jour le : 26/05/2023.

Impensable, il y a quelques mois encore, le retour de la guerre en Europe est une réalité depuis l’agression russe en Ukraine fin février 2022. Dès lors, la nécessité de renforcer une défense commune s’impose comme une évidence. Au sein de l’Otan, dans un cadre européen ou encore bilatéral, la France entretient des liens de longue date avec de nombreux pays partenaires. L’armée de Terre, acteur clef des coopérations militaires, s’entraîne sans cesse avec des armées de pays alliés, recherchant ainsi à être interopérable. Être capable d’être engagés aux côtés de nos alliés, ou d’intégrer une force multinationale ne s’improvise pas.

Renforcer le flanc est

En février 2022, la Russie agresse l’Ukraine. Ce bouleversement géopolitique met en lumière l’importance déterminante des partenariats militaires préparés de longue date. La France, en ouvrant une mission en Roumanie avec l’accord de ce pays hôte, a fait le choix de la solidarité stratégique. La contribution terrestre à ce déploiement s’inscrit dans une volonté de réassurance des pays de l’Alliance du flanc est de l’Europe.

Le 24 février 2022, la Russie envahit l’Ukraine. La loi martiale est proclamée dans les deux pays. L’histoire du monde change, la guerre est de retour en Europe. Les pays de l’Otan veulent contenir cette guerre. La France, nation-cadre de la force de réaction rapide de l’Otan, Nato Response Force (NRF) pour l’année 2022, est aux avant-postes de la réaction et fidèle à ses engagements : elle doit réassurer le flanc est.

En quatre jours, le bataillon fer de lance de la NRF la Very High Readiness Joint Task Force (VJTF) est projeté pour la première fois de son histoire en Roumanie. Le Spearhead Batallion franco-belge, fort de 500 militaires est déployé à Constanta, avant d’être transféré en novembre 2022 à Cincu, le plus grand camp militaire de Roumanie. À proximité des frontières du sud de l’Ukraine, cet emplacement est stratégique et se veut dissuasif. Mille soldats de l’Otan y sont implantés en permanence.

Une armée entourée

Cette insécurité à grande échelle révèle la nécessité d’entretenir des partenariats efficaces et opérationnels. « Les relations internationales sont le temps long des opérations, explique le général Geoffroy de Larouzière, officier général relations internationales (OGRI) de l’armée de Terre. La France a toujours su nouer des alliances et des partenariats qui lui permettent, le moment venu, de réagir rapidement. » Liée de bien des manières, notamment culturelles, à la Roumanie depuis longtemps, la France n’a pas tergiversé quand celle-ci s’est inquiétée de l’agression russe.

Pour consolider le déploiement dans l’urgence de la VJTF, il s’est agi d’ouvrir une missionAigle –dont la Roumanie est ”nation hôte“ et la France ”nation-cadre“. Trois cents militaires belges rejoignent le Spearhead Batallion devenu bataillon multinational Battle Group Forward Presence (BGFP) sous commandement français, relevés par des parachutistes néerlandais. « Prendre le rôle de nation cadre ne s’improvise pas. Cela nécessite savoir-faire et moyens, endossement de responsabilités lourdes, connaissance de procédures (celles de l’Otan en particulier), maîtrise de la langue anglaise, mise en oeuvre de moyens multiples pour que la force multinationale soit opérationnelle. »

Une armée en soutien

Face à la menace, Français et Roumains resserrent des liens déjà anciens. Mutualiser compétences, moyens humains et matériels, grandit les deux parties. La Roumanie a accueilli des Français dans ses structures de commandement. Dès l’été 2023, un général français sera adjoint d’une division roumaine et quelques officiers français seront insérés dans l’état-major de cette division. « Ce geste très fort incarne la solidité du lien entre les deux nations. » L’interopérabilité est plus que jamais la clé de voute de la stabilité européenne.

« Pendant quatre mois, nos unités vivent à un rythme opérationnel dense, découvrent un théâtre exigeant. Ni Afrique ni Afghanistan, l’Europe de l’Est, avec sa géographie et ses conditions climatiques, fait appel au meilleur des forces morales, de la rusticité et des savoir-faire. » Comprendre la géographie de l’Est est indispensable. « Il faut savoir occuper et tenir le terrain, c’est là toute la compétence de l’armée de Terre. »

Un binôme franco-américain

Qu’il soit Français ou Américain, le soldat a toujours le même objectif : remplir sa mission. Chaque armée sait que développer son interopérabilité est indispensable pour le succès de l’action commune. En 2019, le général Hubert Cottereau est le premier officier général français envoyé dans le cadre d’un programme d’échange entre officiers de haut rang. Il témoigne de son expérience aux États-Unis.

À Fort Stewart, le général Hubert Cottereau ouvre la voie. Il est le premier officier général inséré dans la structure de commandement
d’une grande unité opérationnelle de l’armée américaine. Il y est commandant adjoint de la 3e division américaine. Par réciprocité,
un général de brigade américain rejoint l’équipe de commandement de la 3e division française. Cette expérience rendue possible par la signature du Military Personnel Exchange Program a concrétisé les échanges de militaires entre la France et les États-Unis.
 

Ces binômes franco-américain formés pour deux ans viennent approfondir leur connaissance de l’armée amie, maîtriser ses procédures et accélérer l’interopérabilité entre les deux nations. Choisi en raison de sa précédente expérience aux États-Unis à l’Otan (ACT), à la Minusma et de sa maîtrise de l’anglais, le général sait tout le poids de sa mission. « Il a fallu prouver ma crédibilité auprès de l’armée américaine. Les qualités d’un bon leader sont les mêmes ici que de l’autre côté de l’Atlantique : travail, rigueur, exemplarité et attention portée à ses subordonnés

Pendant son affectation, il a participé à une douzaine d’exercices de niveau division, dont trois Warfighter, conduit la projection de quatre brigades en Europe et en Corée, supervisé l’évacuation d’une partie de la division et de sa garnison dans le cadre de l’ouragan Dorien, géré la crise Covid pour la division et sa garnison et réalisé des rapports d’études mensuels pour l’armée de Terre. 

Plus de place à l'initiative

Pour le général, il n’y a pas de distinction fondamentale entre les jeunes soldats français et américains. « Engagés et dynamiques, ils
sont de la même trempe.
» Leurs attentes en termes de commandement sont les mêmes : exemplarité, engagement, exigence et bienveillance. Pour autant, leur culture tactique et opérative diffère. Le feu et la stratégie directe structurent la doctrine de l’armée américaine en raison notamment de ses immenses ressources.

L’armée de Terre française marque davantage l’accent sur la manoeuvre et souvent sur la stratégie indirecte. « Il m’a été possible de tirer parti de ces différences pour mettre en difficulté une manoeuvre prévisible par un schéma tactique adverse plus mobile et fondé sur la déception, dans le cadre du commandement de l’OpFor (force rouge). »

De plus, l’US Army fonde son action davantage sur la science militaire en objectivant les décisions et en planifiant en profondeur alors que l’armée de Terre laisse beaucoup de place à l’initiative jusqu’aux plus bas échelons tactiques. Une différence expliquée par le fait qu’aux États-Unis une division est regroupée sur une seule et même garnison, ce qui permet une centralisation et une rapidité d’exécution des ordres. C’est tout l’inverse en France où le chef de corps a beaucoup plus de latitude.

Accélérer la montée en gamme

« Cette expérience a constitué un défi en soi : une ouverture de poste à une position de commandement, en totale immersion au sein d’une armée qui a débuté son retour vers la haute intensité il y a dix ans. » De retour en France, l’expérience acquise a permis de capitaliser sur l’exercice Warfighter que la division venait de faire en avril-mai 2021, d’accélérer la montée en gamme vers la HI en adaptant à la réalité et à la culture françaises les enseignements transposables : modélisation de l’entraînement, création d’un Joint Air Ground Intégration Cell, processus targeting, concepts de système de combat divisionnaire et de système de PC, etc.

La présence du général américain Todd Wasmund, affecté à la troisième division a grandement aidé, entre autres à renforcer le lien avec l’US Army, et l’interopérabilité en termes de procédure et de complémentarité des cultures tactiques.

Le saviez-vous ?

Le général Lafayette fut le premier officier français à intégrer l’armée américaine en 1777, à la tête d’une division.

Survivre ensemble

L’exercice “La survie” mené par les Pays-Bas a réuni du 21 novembre au 2 décembre 2022, des Français, des Néerlandais, des Belges et des Luxembourgeois sur le camp de la Courtine dans la Creuse. Spécialistes de la reconnaissance, tous viennent se former aux techniques de base de la survie en forêt. Construction d’abris, orientation, alimentation. Le but : créer et conserver de l’énergie pour réussir la mission. Prêts ?

IL est huit heures. Au bout d’une route sinueuse qui s’enfonce dans une forêt de bouleaux, le brouillard peine à se lever. Les feuilles roussies et la terre meuble amortissent le bruit des pas. Au bord du lac du Try, une quarantaine de stagiaires attendent les ordres. Issus de différentes nations, ils se préparent mentalement à un exercice d’évasion et à survivre pendant quatre jours en totale autonomie. Deux jours seront consacrés à une “chasse à l’homme”.

Une première pour les marsouins qui ont intégré le peloton de reconnaissance spécialisé (PRS) en septembre, mais aussi pour le 1er régiment d’infanterie de Marine qui découvre son partenaire néerlandais, en charge de la conduite de l’exercice. Les terrains d’entraînement français et le dénivelé de la Creuse sont propices aux efforts intenses. Cette instruction constitue une initiation avant de passer la certification otanienne “Survie-Évasion-Résistance-Extraction” (Sere).

Men in the creek

Créée afin d’augmenter le niveau de l’ensemble des pays de l’Alliance en matière de survie, cette formation définit des standards qui garantissent une « montée en autonomie du personnel amené à être isolé sur un champ de bataille », explique le commandant néerlandais Rémi. Elle se développe de plus en plus dans les unités de l’armée de Terre. « Cet exercice interallié accroît la coopération, nous devons nous comprendre et être prêts à intervenir ensemble. »

Les “yeux et les oreilles de l’armée” sont formés aux quatre fondamentaux : eau, nourriture, feu et abri mais aussi aux techniques de cachette et d’évasion. Pour cela, les militaires utilisent les rivières et les fleuves. L’atelier, appelé « Men in the creek », les prépare
aux cachettes en immersion. Le détachement français, loin d’appréhender cette activité, la voit au contraire comme un défi .

Les stagiaires se déshabillent, se faufilent chaussés entre les arbres avant de s’immerger dans l’eau du lac à 6 degrés, pendant trois
minutes, guidés par la voix de l’instructeur : « On se concentre sur sa respiration ». En sortant, tous enchaînent des exercices de sport
afin de faire remonter la température corporelle. Ce qui inquiète le plus, ce sont les chaussures mouillées. « Rester quatre jours avec des chaussures mouillées c’est tomber malade. Les faire sécher, c’est risquer de les brûler », souligne le caporal Jeffrey. La capitaine Margot, médecin néerlandais, vérifie qu’il n’y a aucun cas d’hypothermie : les mains et les pieds sont examinés avant de poursuivre les ateliers.

Les récupérer vivants

Tous sont très attentifs à l’atelier nourriture : les baies nocives sont identifiées et tout ce qui est comestible – lichen, orties, asticots – est cuisiné devant eux afin que les recettes puissent être reproduites. Le feu, si précieux pour le confort, la cuisine et le moral, est maîtrisé par tous les groupes. Les nuits sont courtes et la météo impitoyable.

Certains abandonnent en raison d’engelures ou d’hypoglycémie. L’esprit de groupe est plus que jamais nécessaire. « Malgré la barrière de la langue, les réflexes et les automatismes militaires permettent une coordination fluide. L’uniformisation des procédures Otan fonctionne», remarque le caporal-chef Jeffrey. Toutefois, il reconnaît que les conversations en dehors du cadre militaire sont plus ardues : « Il faut que nous travaillions davantage nos bases linguistiques ».

Le deuxième jour, un appel radio annonce que la position est compromise. Un premier puis un deuxième point de récupération sont donnés, forçant les groupes à se déplacer de 15 km chaque nuit. Le sergent Pierre, de l’unité de reconnaissance et du peloton voltigeur belge, explique : « Ce n’est pas le confort qui compte ici. On veut les récupérer vivants sur un théâtre d’opération. On essaye de les pousser dans leurs retranchements ».

Le caporal-chef Kévin, tireur de précision au PRS, confie : « C’est très intense, la fatigue s’installe mais le moral est là. Sans esprit de groupe, il serait difficile de tenir ». Ceux qui parviennent enfin au point de ravitaillement sont fiers, prêts à se lancer dans la formation Sere et à devenir experts de la survie. Mike Horn n’a qu’à bien se tenir !

Du sable à la ville

Le 5e régiment de Cuirassiers constitue le volet terrestre des Forces françaises aux Émirats arabes unis. Une implantation stratégique : il est capable d’intervenir au Moyen-Orient et dans toute la zone de responsabilité de l’amiral commandant l’océan Indien. Quotidiennement, il fait vivre et dynamise le partenariat militaire avec les Émirats arabes unis ainsi qu’avec de nombreux pays de cette région clé. Une mission que nous présente le colonel Yann de La Villéon, chef de corps.

En quoi le 5e régiment de Cuirassiers accroît-il les capacités de projection hors métropole ?

Depuis les alentours d’Abu Dhabi, le régiment constitue en permanence le GTIA Royal Pologne, prêt à réagir au sein des Forces françaises aux Émirats arabes unis (FFEAU). Les personnels sur place sont en alerte 4 heures, ils peuvent être projetés en 24 heures hors du quartier pour des missions d’urgence dans la région, comme en août 2021 quand il a fallu évacuer quelques 2 800 personnes de Kaboul tombée aux mains des Talibans.

La réactivité et la modularité, jusqu’aux moyens les plus puissants (Leclerc, VBCI, Caesar), sont la clé de l’efficacité opérationnelle. En plus des forces présentes en permanence aux EAU, fantassins et génie peuvent renforcer le régiment très rapidement : ils trouveront sur place leur matériel prépositionné.

Comment le 5e régiment de Cuirassiers et les Land Forces émiriennes travaillent-ils conjointement ?

Stationné dans un camp émirien, le “5e Cuir” travaille quotidiennement avec ses partenaires. Il s’entraîne au tir, à des exercices d’aérocordage, d’évacuation de ressortissants, mais aussi lors des grands exercices annuels comme El Himeimat, qui donnent un rythme commun, et contribuent à harmoniser besoins de préparation opérationnelle et de coopération.

Au-delà du partenariat, nous sommes intégrés avec les Émiriens et vivons à leur manière, avec une barrière de la langue qu’il faut toujours franchir. C’est l’occasion pour nos soldats de développer leurs compétences linguistiques.

Quelle est la spécificité du 5e régiment de Cuirassiers ?

Nous sommes une unité sur mesure. Le régiment se modifie au gré des missions : une soixantaine d’officiers, sous-officiers et soldats
sont affectés en permanence, deux cent-vingt environ rejoignent pour des missions de courte durée, hors période de grand exercice ou
d’alerte. Sa structure variable permet au GTIA d’accroître ses effectifs jusqu’à six cents soldats en quelques jours. Il offre aux militaires des occasions d’entraînement à mi-chemin entre la métropole et l’Opex.

Dans la ville de combat d’Al Hamra, l’une des plus grandes au monde, on s’exerce par exemple au changement de milieu du sable à la ville, le plus souvent par des températures extrêmes. Quatre-vingts km2 de désert, une zone urbaine, un village de combat, des outils de simulation. Sans même sortir du quartier, l’environnement immédiat, les infrastructures hors normes, les capacités d’accueil et son ouverture sur l’océan Indien en font un régiment d’un intérêt tout particulier.