Partager l'article

La cohésion, socle de l'armée de Terre

Texte : Clémentine HOTTEKIET-BEAUCOURT

Publié le : 15/06/2022 - Mis à jour le : 26/06/2022.

La cohésion est une valeur fondamentale de l’identité militaire. Elle se forge dans les traditions, l’effort et les expériences communes par lesquelles chaque combattant passe. Pendant la formation, en régiment, sur le terrain, elle se poursuit même après une carrière militaire. Tous les soldats ont le même objectif : remplir leur mission. Ils savent que leurs actions individuelles conditionnent le succès de l’action collective. Soutenir ses frères d’armes, parfois jusqu’au péril de sa vie, crée un lien particulier qui dure toujours. Cette cohésion qui les unit tous, forge un esprit de corps : ils sont membres d’une même communauté. Chacun connaît le code du soldat qui résonne en lui et que les hommes répètent souvent d’une seule voix : « Loyal à mes chefs et dévoué à mes subordonnés, j’obéis avec confiance et je commande avec exigence et bienveillance. Au combat, je n’abandonne ni mon arme, ni mes camarades morts ou blessés ».

Créer le lien

La réussite d’une mission passe par le collectif et nécessite une cohésion solide entre les soldats. Pour tisser ce lien privilégié, le rôle du Centre de formation initiale est capital pour les jeunes engagés volontaires. L’instruction progressive qui y est dispensée participe à transformer des recrues en frères d’armes.

«Le soldat ne combat pas seul mais au sein d’une communauté d’hommes et de femmes : le trinôme, le groupe ou la section.», explique le lieutenant-colonel Emmanuel Regnault, commandant le Centre de formation initiale (CFIM) de Valdahon. Pour cultiver ce sens du collectif, le rôle des onze CFIM est primordial. Dans chacun d’eux, un parcours de tradition est mis en place. Il permet aux militaires de parler un langage commun et de créer un sentiment d’appartenance fort. Pendant neuf semaines, les engagés y découvrent l’esprit militaire où le maître-mot est “cohésion”.

Au CFIM de la 7e brigade blindée/3e Régiment de chasseurs d'Afrique, ce parcours se décompose en cinq phases. La première, dès l’arrivée, symbolise l’intégration des jeunes dans la communauté des engagés volontaires. Après leur instruction à l’armement, chacun reçoit son arme de guerre : le Famas. La remise de béret constitue la deuxième étape. Quatre semaines après leur arrivée en CFIM et après avoir parcouru une marche de douze kilomètres, les soldats peuvent enfin arborer l’insigne de leur arme.

Pour marquer ce moment fort, une cérémonie est organisée. Ils y apprennent l’histoire de leur régiment. Puis ils entrent dans une promotion en recevant l’insigne de leur parrain de cohorte (promotion de l’année). Ils intègrent ensuite la brigade dont ils reçoivent l’insigne après une marche finale de vingt kilomètres. Pour clôturer cette entrée dans la famille de l’armée de Terre, le képi (ou le tricorne pour les femmes), emblème du soldat français, leur est remis avant qu’ils ne rejoignent leur affectation.

Le chef de groupe, un modèle

Parmi les souvenirs que les engagés retiendront toute leur carrière, il y a celui de leur premier encadrement. Le lieutenant-colonel Emmanuel Regnault insiste d’ailleurs sur le rôle du chef de groupe, dans l’émulation des hommes dont il a la responsabilité. Ce premier chef accompagne les recrues tout au long de leur formation. Sous son action, la somme d’individualités, doit devenir un socle solide sur lequel tous pourront s’appuyer.

La douzième compagnie du CFIM de Valdahon est unanime : «  Tout le monde doit s’aider pour remplir la mission, et être porté par la même énergie ». Cette solidarité est d’autant plus nécessaire que la plupart du temps les jeunes connaissent mal l’univers militaire. Mais l’armée, ce n’est pas Full Métal Jacket.

Le rôle de l’encadrement, et en particulier celui du chef de groupe, est aussi de répondre à toutes les questions des engagés et de leur livrer une vision juste de l’institution. Leur chef est un modèle. «  Je veux qu’il soit un repère pour ses subordonnés, qu’il leur montre l’exemple », insiste le lieutenant-colonel.

Le saviez-vous ?

À Valdahon, les recrues n’ont pas accès à leur téléphone pendant la journée pour favoriser les moments de partage. Les familles peuvent suivre l’évolution de leur proche grâce à la page Facebook du CFIM

Ensemble, c'est plus facile

Parcours d’obstacles, marches tactiques, méthodes naturelles, piste d’audace… Ensemble, c’est plus facile. On dépasse les obstacles et on va plus loin. Les engagés volontaires initiaux (EVI) y travaillent également la force morale nécessaire à leurs futures missions.

« Je n’avais jamais vu la neige auparavant. Quand nous avons dû dormir à l’extérieur, ça a été très difficile. Nous aider a permis à chacun de surmonter la difficulté », raconte le 1re classe Safarine originaire de Mayotte. Les situations compliquées obligent à s’épauler et à faire attention à son camarade. L’épreuve finale concluant la formation des engagés est d’ailleurs une épreuve de groupe.

Ensemble au quotidien

Après leur formation, les militaires rejoignent un régiment dans lequel ils vont évoluer durant plusieurs années. Dans ce nouvel univers, la cohésion est primordiale. Elle touche tous les pans de la vie du soldat. Association de la famille à la vie régimentaire, challenge sportif, tout concourt à pérenniser l’intégration des combattants au sein d’une unité. Les soldats du 92e régiment d’infanterie témoignent.

Colonel Martin Doithier, chef de corps

"En régiment, on travaille et on vit ensemble. Au-delà de la cohésion, c’est l’esprit de corps qui prévaut. Ce dernier permet de remplir la mission de manière sereine, d’être heureux au travail mais aussi de se soutenir lors de moments difficiles. Quand la préparation opérationnelle se durcit, quand les combats deviennent plus longs et plus rustiques, quand ils ont lieu la nuit : pour que ça marche, il faut être soudé. Ce qui compte c’est la confiance : suivre son camarade et son chef où qu’ils aillent. Cela va plus loin : on peut même aller jusqu’au sacrifice ultime ou à tuer pour sauver son copain. La cohésion, c’est également la prise d’armes au retour d’opérations extérieures, avec ceux qui sont partis et la base arrière. On se souvient du rôle de chacun et on reste unis : c’est la victoire d’un régiment."

Capitaine Laurent, officier tradition

"Les militaires du 92e régiment d’infanterie sont imprégnés de l’histoire de leur régiment. Ils l’étudient en formation initiale et dès leur arrivée, se rendent dans la salle d’honneur qui retrace les événements marquants régimentaires. Ils passent ensuite ce qu’on appelle le “baptême gaulois”. Chacun doit montrer ses connaissances en répondant à des questions sur les batailles, les traditions. À la fin de l’épreuve, ils reçoivent un calot tradition qui marque définitivement leur entrée dans la famille du régiment d’Auvergne. Ils soufflent également dans une cornemuse en référence aux origines irlandaises du régiment. Chaque soldat possède les mêmes références et vit à l’unisson. Les traditions cimentent l’identité d’un régiment et le pérennisent au quotidien, à travers les chants, par exemple, ou lors de grands événements."

 

Major Pierric, chef du bureau environnement humain

"La cohésion, c’est veiller à l’intégration du militaire dans son environnement, vérifier que chacun trouve sa place, y compris dans les familles. Pour être bien dans sa vie et sa mission, le soldat a besoin que ses proches le soient aussi. On “accompagne” les conjoints durant les absences opérationnelles, on les aide quand il faut changer une machine à laver par exemple, on crée des activités pour les époux et épouses mais aussi pour les enfants. Chasse aux œufs pour Pâques, Noël des enfants, Halloween, journée des familles, c’est un accompagnement tout au long de l’année qui permet de les associer à la vie de l’unité. La cohésion, c’est aussi le souci de nos blessés, les suivre et les orienter vers les bons services, les aider dans leurs démarches et s’assurer que personne ne soit oublié."

Caporal-chef David, instructeur au bureau des sports

"Ce qui soude le plus, c’est le défi, pas la facilité. La cohésion se fait dans l’effort. Quand un groupe est soumis à rude épreuve, il doit s’entraider pour passer au-delà. Lors d’un footing régimentaire, le premier doit aider le dernier, tout le monde fait bloc. Pendant les “jeux gaulois”, notre fête annuelle régimentaire, chaque section se bat pour se mettre en avant et avoir le meilleur score. L’émulation est collective. En enfilant le maillot de son équipe, on est prêts à tout donner. Les jeux gaulois mêlent tradition et sport : on fait du tirage de corde, des courses en sac, des courses vélo-coureur mais surtout on entretient l’esprit de corps."

Devenir frères d’armes

Le Spearhead Battalion est déployé en Roumanie depuis février. Départ en urgence, installation sur la base de Constanta. À la réalité opérationnelle s’ajoute la nécessité de s’intégrer dans un milieu interallié. Pour ces militaires qui vont passer quatre mois côte à côte, la cohésion est une nécessité pour mener à bien la mission.

En mission les soldats vivent et travaillent ensemble pendant plusieurs mois. Une promiscuité pas toujours facile, mais que la cohésion aide à supporter. Après un déploiement en urgence le 24 février, les éléments français du Spearhead Battalion ont rapidement dû apprendre à vivre à l’unisson dans des conditions très rustiques.

« La cohésion permet de limiter les griefs et mésententes. Elle rend la vie en communauté plus supportable », soutient le caporal-chef Jimmy, président des EVAT du Spearhead Battalion. Ceux qui ont déjà réalisé plusieurs opérations extérieures guident les moins expérimentés pour qu’ils s’adaptent plus facilement.

Rien ne vaut ces liens d’amitié qui se nouent pour être efficace et serein. Ils permettent de déceler si quelqu’un a besoin de soutien. Loin de leurs proches, les soldats savent qu’ils peuvent compter sur leurs camarades : « On s’aide les uns et les autres, on fabrique des bureaux, des armoires avec des planches récupérées ici et là », relate le caporal-chef Jimmy.

Des espaces privilégiés

Vivre ensemble n’est pas inné. Avec des alliés ne parlant pas toujours la même langue c’est un autre défi . Établis sur la base de Mihail-Kogalniceanu, Roumains, Italiens, Belges, Allemands, Néerlandais et Anglais cohabitent avec les éléments français.

Cinq cents Français et trois cents Belges réunis sous le même commandement ont collaboré lors de ces derniers mois en Roumanie afin d’améliorer la vie sur le camp : ils ont construit des lieux de rassemblement ouverts à toutes les nationalités. Des espaces privilégiés pour nouer des liens entre alliés, ces derniers, « s’échangeant même leurs patchs, un symbole fort », raconte l’adjudant Nicolas, chef de la section maintenance du 27e BCA.

Ces rencontres sont l’occasion de se connaître : « Je me suis lié d’amitié avec mes homologues roumains, nous avons prévu de nous revoir en France à l’occasion d’un voyage qu’ils projettent de faire après la mission  », témoigne le caporal-chef Jimmy.

Esprit de corps

Sur le terrain, cette unité garantit le bon déroulement de la mission. Même si tous ne parlent pas la même langue, ils partagent la même curiosité : lorsqu’on est militaire, peu importe d’où l’on vient, la barrière de la langue tombe assez vite et on se comprend facilement. Tout le monde connaît les points forts et les points faibles de son équipe et peut agir en conséquence.

C’est à ce moment-là que la cohésion prend tout son sens « Il y a un temps pour tout, dans l’action ce n’est pas le moment de se poser des questions ou de se découvrir  », explique le caporal-chef Jimmy. Chacun va donner son maximum pour réussir la mission et protéger ses frères d’armes.

Cet esprit de corps, autour d’un drapeau et de valeurs communes, anime un groupe et le pousse à se dépasser. « Tout le monde vit la même expérience, le groupe a travaillé dur, s’est entraîné et est parti ensemble. » Lors de chaque opération, des liens forts se tissent entre les combattants, fondés sur les expériences communes qu’ils ont vécues. Nul doute que les soldats français en Roumanie s’en souviendront encore dans trente ans.

Garder contact

Quarante ans après avoir franchi les portes d’Issoire, cent cinquante anciens élèves de la promotion Haristoy se réunissent le 25 juin.
Qu’ils soient encore militaires ou non, tous restent attachés à leur école et à l’institution militaire en général. Une affection profonde qui prend racine dans les souvenirs communs.

En 1982, de jeunes militaires arrivent à Issoire pour y suivre une formation de sous-officier technicien de trois ans. C’est la promotion “Haristoy”. Parmi eux, le commandant Franck : « Les liens tissés sous l’uniforme sont indéfectibles. Être prêt à donner sa vie pour son pays est une démarche singulière qui génère un lien très fort entre celles et ceux qui ont servi. On parle de frères d’armes ».

Quelques années plus tard et quelques cheveux blancs en plus, ils ont été nombreux à confirmer leur présence pour un week-end de retrouvailles fin juin. Tous restent connectés grâce à leurs souvenirs communs. L’émergence des réseaux sociaux aide à entretenir le contact. « Quarante ans après, cette cohésion est inaltérable », témoigne le commandant. Chaque rencontre est l’occasion de se remémorer les événements vécus ensemble.

Un sceau indestructible

Les jeunes de la promotion Haristoy ont suivi à Issoire une formation militaire rude et exigeante et appris à vivre ensemble. Une expérience commune que partage chaque soldat aujourd’hui encore, quelle que soit son unité d’appartenance. Tous traversent les mêmes épreuves. Cela concourt directement à la création d’un sentiment d’appartenance à l’armée de Terre. Pour autant, les traditions locales des écoles et unités existent.

La devise d’Issoire, "exemple et rigueur" est l’adage qui a accompagné le commandant et ses camarades dans leur vie professionnelle et personnelle. Ils se souviennent des paroles du colonel Michel, ancien commandant de l’école  : « Vous aurez la volonté de montrer à tous qu’être un ancien d’Issoire n’est pas qu’une simple étiquette mais un sceau indestructible qui atteste de vos qualités professionnelles et de vos qualités de cœur. Dans le corps des sous-officiers, vous serez de ceux de qui l’on dira : ils savent s’unir pour entreprendre, s’entraider pour faire face. »