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Jordanie, un partenariat gravé dans la roche

Texte : ADJ Anthony THOMAS-TROPHIME

Publié le : 13/09/2023 - Mis à jour le : 14/09/2023. | pictogramme timer Temps de lecture : 14 minutes

Jordanie, province Sud d’Al Humayama : un détachement du 27e bataillon de chasseurs alpins participe à la quatrième édition de l’exercice Al Jabal, du 30 mai au 25 juin. En cordée avec les soldats du 61e bataillon jordanien, les Français suivent un entraînement de combat en montagne. Une manoeuvre témoignant du partenariat pérenne entre les deux pays.

Perché à une centaine de mètres au bord d’une falaise, le première classe Brandon cale son lance– roquettes AT4CS sur son épaule et prend sa visée. Une fois sûr de son objectif, le tireur du 27e bataillon de chasseurs alpins (27e BCA), efface la sûreté et presse le bouton de mise de feu. En une fraction de seconde, le projectile de 84 mm s’extrait du tube dans un panache de fumée, droit sur la cible en contrebas. La détonation ricoche sur les parois rocheuses, non pas dans une vallée des Alpes, mais dans la province sud d’Al Humayama en Jordanie. S’ensuit des crépitements secs et répétés. Ses camarades de la deuxième section prennent le relais en délivrant des feux nourris.

Dans la chaleur matinale de ce 21 juin, le wadi dit “du roi” est le théâtre d’une démonstration de force. Devant les hautes autorités, les chasseurs alpins français et les Loups du 61e bataillon jordanien mettent en oeuvre toutes les compétences propres au combat en montagne. Cette restitution d’envergure, constitue la phase finale de l’exercice Al Jabal 4, réalisée du 30 mai au 25 juin. Enveloppé dans un nuage de poussière, Brandon s’empare de son fusil d’assaut HK 416 et couvre ceux qui descendent en rappel sur une corniche.

Pour son premier départ à l’étranger, le jeune militaire découvre un tout autre environnement. « Ici ce ne sont pas du tout les mêmes montagnes. Avec ce paysage désertique et ces canyons, on se croirait sur Mars », livre le 1re classe. Les actions s’enchaînent ne laissant aucun répit à l’ennemi fictif. Pour autant, le respect du timing reste primordial pour animer ce tableau de guerre vivant. Pas le droit à l’erreur, ici la démonstration se fait avec des munitions réelles. Une marque de confiance mutuelle entre les deux partenaires.

La vigilance reste de mise

Depuis son poste d’observation, situé au fond du canyon, le capitaine François, commandant la 2e compagnie, et son homologue jordanien se coordonnent pour diriger leurs unités respectives. «Toutes les activités ont été menées avec nos camarades jordaniens, du niveau individuel au mixage des sections. L’entraînement a été progressif. D’abord avec une partie dédiée à l’emploi des équipements, suivie des séances de tirs et enfin les deux combinés dans les phases de combat en montagne.De plus, la proximité immédiate des installations en fait un site exceptionnel. »

Le camouflage des soldats se fond dans l’immensité rocheuse. L’emploi des fumigènes colorés signale les positions pour permettre aux spectateurs de suivre le déroulé des opérations. Sous les coups précis et répétés, les cibles disparaissent peu à peu dans un épais rideau de poussière. À droite du dispositif, des silhouettes glissent le long d’une longue corde raide. Un groupe français rejoint le fond du wadi en tyrolienne. Cette technique propre aux chasseurs alpins est un atout tactique indéniable.

Et de fait, un appui est mis en place en deux minutes seulement. Sur Al Jabal 4, toutes les phases de franchissement vertical sont préparées par l’équipe d’instructeurs du bureau montagne du 27e BCA. Ils sont les garants de la sécurité. Si la 2e compagnie s’entraîne loin des morsures du froid, des crevasses et des hauts sommets des Alpes, pour le capitaine Jérôme, la vigilance reste de mise. Combattre dans la verticalité de ce massif désertique comporte bien des risques.

« Ici nous avons à faire principalement à du grès, du sable qui a été congloméré depuis trente millions d’années. Cette roche est fragile car elle s’est érodée avec le temps et les intempéries. Sa texture, très abrasive, use nos cordes », explique l’officier montagne. Une douzaine de cordes ont été détériorées sur les six séances d’instruction de descente en rappel. « En temps normal, elles sont utilisables pendant deux à trois ans », ajoute le capitaine. Les instructeurs de la 27e brigade d’infanterie de montagne sont des acteurs incontournables du partenariat franco-jordanien.

« Investis à nos côtés »

Depuis 2016 et à travers les précédents détachements d’instruction technique, ils ont formé la majorité de la compagnie montagne du 61e bataillon. Au-delà des qualifications individuelles, d’autres plus poussées leur sont également dispensées pour former les chefs d’équipe et les chefs de détachement. L’objectif ? Donner de l’autonomie à la compagnie dans l’entretien des acquis.

«Ils ont été très investis à nos côtés pour l’encadrement et la sécurisation des sites. Leurs bases individuelles sont solides, cela va nous permettre de travailler sur leur socle collectif », s’enthousiasme le capitaine Jérôme. Depuis leur promontoire, les hautes autorités ont une vue imprenable sur le déroulé de l’exercice. Parmi eux, le chef de corps du 27e BCA, le colonel Vincent Minguet, observe attentivement ses hommes en action. Pour lui, cette préparation opérationnelle représente bien plus qu’un entraînement dans un milieu chaud. « Avant d’étudier les menaces ou l’ennemi, il est impératif de comprendre dans quel environnement on opère. De savoir ce que l’on peut y faire ou non. Pour cela, il est très important de comprendre la culture. C’est le préalable à tout engagement militaire », expose le chef de corps.

« Un signal pour nos compétiteurs »

Au regard des détachements français et jordanien, le VIP day est le fruit de leur investissement où chacun a progressé sur le plan technique, tactique, dans une coopération interalliée. « Ce partenariat est un signal dissuasif qui montre à nos compétiteurs que nous sommes une armée d’emploi, capable de mener des entraînements conjoints de haute intensité, dans un environnement inhabituel. Tout cela constitue un facteur de supériorité opérationnelle, ajoute le colonel. Pour les Français, cela offre l’occasion de travailler dans une culture différente de la leur, ce qui peut être déstabilisant. Cet échange contribue à affiner leur interopérabilité

Le saviez-vous ?

La France a apporté son soutien à la Jordanie pour lutter contre le terrorisme en contribuant à la montée en puissance de la brigade Quick reaction force. Aujourd’hui la menace a évolué et la recrudescence des trafics illicites.
2016 : Début de la coopération entre la 27e brigade d’infanterie de montagne et le 61e bataillon
2020 : Les Émirats arabes unis livrent des chars Leclerc à la Jordanie
2021 : Début des activités de formations des équipages Leclerc de la 40e brigade blindée jordanienne.

La démonstration touche à sa fin. Mais avant que le wadi ne retrouve sa quiétude, les snipers tirent les dernières munitions. Chaque coup au but déroule successivement le drapeau jordanien et tricolore, provoquant une salve d’applaudissements. La coopération sur le volet montagne, débutée en 2016 s’achèvera d’ici à 2024. À terme, l’objectif est de permettre aux Jordaniens de s’entraîner et de s’instruire en totale autonomie.

« Aujourd’hui, le niveau technique individuel est très bon. Les prochaines étapes se feront dans le domaine de la conception d’une manoeuvre tactique, du niveau section et compagnie. J’encourage le prolongement de cet échange avec un effort sur la formation des équipes de commandement », déclare le lieutenant-colonel Gilles, coopérant Terre auprès de l’armée jordanienne.

Depuis 2021, il est chargé d’appuyer la montée en puissance de la brigade Quick Reaction Force dont fait partie le 61e bataillon. La France occupe une place privilégiée dans le projet de coopération multinationale de l’armée jordanienne. Sa crédibilité repose d’une part sur l’expérience acquise sur les théâtres d’opérations et d’autre part sur une pédagogie qui lui est propre, en adoptant une coopération dite “au contact”. « Le soldat français s’intègre et partage naturellement sans chercher à s’imposer. Au-delà de notre expertise, les Jordaniens sont sensibles à notre savoir-être. »

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