Trois questions au général Christophe Abad, ancien gouverneur militaire de Paris
« Une opération inédite pour ne pas dire historique »
Texte : ADC Anthony THOMAS-TROPHIME
Publié le : 08/10/2024 - Mis à jour le : 17/10/2024. | Temps de lecture : 8 minutes
Après 4 ans, le général d'armée Christophe Abad a quitté ses fonctions de gouverneur militaire de Paris au 1er octobre 2024 pour l'inspection générale des Armées. Quelques mois après le succès de l’organisation et du déroulement des JOP 24, il revient sur la contribution des Armées au volet sécuritaire de cet événement exceptionnel.
Quels ont été le rôle et la place des Armées dans la sécurisation des Jeux ?
L’implication des Armées dans la sécurisation des Jeux olympiques et paralympiques de 2024 a été appliquée selon le cadre d'engagement des Armées sur le territoire national tel qu'il existe avec l'opération Sentinelle. Elles sont réquisitionnées par les autorités préfectorales afin d’appuyer les forces de sécurité intérieure. Au regard de cet événement ultra médiatique et aux enjeux considérables pour la France, l’opération Sentinelle a changé d’échelle. Les effectifs et les moyens mobilisés ont été plus conséquents pour remplir un spectre de missions plus étendu.
Une semaine avant la cérémonie d'ouverture des Jeux olympiques, nous étions au pic de mobilisation avec 11 000 militaires déployés en Île-de-France. Ils ont assuré des missions traditionnelles de contrôle de zone, avec des patrouilles dans les rues mais pas seulement. En parallèle, des inspections de sécurité ont mobilisé plusieurs spécialités provenant des régiments du génie, avec des équipes de démineurs et de la fouille opérationnelle spécialisée, chargées d’inspecter les espaces clos sous les sites olympiques (égouts, catacombes…).
Des spécialistes NRBC du 2e régiment de dragons et des maîtres de chien du 132e régiment d'infanterie cynotechnique sont également intervenus. Dans la zone dite d’Ivry Charenton, en amont de la parade nautique de la cérémonie d'ouverture, le Bativry disposait d’embarcations fluviales du génie, d’un drone subaquatique pour cartographier les fonds de la Seine et de plongeurs de combat pour sécuriser le parcours et contrôler les coques des bateaux. Dans les airs, des drones et des capacités de lutte anti-drones ont été employés pour empêcher les intrusions dans le périmètre.
Un détachement de l'Aviation légère de l'armée de Terre a complété le dispositif avec des hélicoptères Caïman pour transporter les troupes et des hélicoptères Gazelle équipés de caméras thermiques Viviane pour des reconnaissances nocturnes. La réserve opérationnelle s’est aussi montrée particulièrement précieuse. Pour cet événement, elle a représenté 15 % des effectifs. Les réservistes nous ont apporté les compétences dont nous avions besoin avec beaucoup d’énergie et d'enthousiasme.
Quelles étaient les menaces pesant sur les JOP 24 ?
La menace depuis une dizaine d'années est celle du terrorisme. Pendant les Jeux, d'autres menaces ont été identifiées par les services de renseignement. Celle des contestataires qui auraient pu notamment perturber l’événement en menant des actions violentes pour des raisons idéologiques ou politiques.
S'ajoutaient à cela les compétiteurs stratégiques comme la Russie, la Chine ou d’autres grandes puissances. Ces derniers ont les moyens de produire des effets dans les champs immatériels comme la désinformation et les cyberattaques et auraient pu perturber les Jeux et décrédibiliser l'action de la France.
Il y avait aussi des risques. Le premier est d’ordre naturel, lié aux conditions climatiques extrêmes comme les épisodes caniculaires et les phénomènes pluvieux ou orageux très violents. Mais aussi les risques sanitaires, car selon les spécialistes, accueillir des visiteurs du monde entier favorise les risques épidémiologiques, surtout en période estivale.
Enfin les risques technologiques : un incendie dans une usine aurait pu générer des fumées toxiques non loin d'un site olympique. Chaque scénario avait été envisagé et étudié avec pour chacun, des plans établis pour intervenir.
L’organisation des JOP 24 est un franc succès. Un bilan positif à plus d'un titre...
En effet, nous avons mené une opération inédite pour ne pas dire historique. Tous les soldats, tous grades confondus, ont contribué à la réussite d'un événement international où la France jouait son rang. Le dispositif a été dissuasif car aucun événement sécuritaire grave n’est survenu durant la période olympique. Le ministre de l'Intérieur a souligné que la présence massive de policiers, de gendarmes et de militaires a diminué considérablement la délinquance dans les rues de Paris.
Au début, certains pensaient que cette forte mobilisation pouvait être anxiogène. Bien au contraire. Les citoyens comme les touristes étrangers ont été réconfortés de voir nos soldats, comme les forces de sécurité intérieure, déterminés dans leur mission tout en faisant preuve de bienveillance à leur égard. Ce bilan permet de tirer des enseignements sur l’évolution de l’engagement des Armées sur le territoire national en faisant évoluer l'opération Sentinelle.
Nous avons innové avec le déploiement de moyens spécialisés apportant une plus-value indéniable. Nous avons exploré des champs méritant d'être approfondis comme l'emploi des drones par nos unités combattantes sur le territoire national. C'est une avancée importante sur laquelle il faut capitaliser. Ce que je retiens c’est bien sûr la cohérence du groupe et de la force qui a été déployée avec un état d'esprit exceptionnel. C'était pour ma part une aventure humaine inoubliable.