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Coiffeur en Brocéliande

Texte : ADJ Anthony THOMAS-TROPHIME

Publié le : 01/12/2023 - Mis à jour le : 07/12/2023. | pictogramme timer Temps de lecture : 5 minutes

Après 39 ans de bons et loyaux services, le capitaine Bulle raccroche son peigne et ses ciseaux. Coiffeur de l’Académie militaire de Saint-Cyr de Coëtquidan, il a conquis les cœurs et les esprits de bon nombre d’officiers en scolarité. Sa bienveillance, son sens de l’écoute et ses traditionnelles coupes ont marqué l’âme de cette institution.

Deux générations d’élèves-officiers ont défilé sous le ronronnement de la tondeuse et des coups de ciseaux de Gérard Frutoso. Coiffeur de l'Académie militaire de Saint-Cyr Coëtquidan (AMSCC) depuis 39 ans, il est devenu au fil des promotions, une figure emblématique et incontournable de la grande école du commandement.

Son histoire avec l’armée débute en 1984 alors qu’il effectue son service militaire au 5e régiment d’infanterie de Beynes, en région parisienne. Chez lui, la coiffure est une affaire de famille, si bien qu’il est aussitôt affecté au poste de “coiffeur barman”. À l’issue de ses obligations, son officier conseil lui propose de pérenniser son poste.

Une offre qu’il décline pour retourner en Bretagne, sa région natale. Le mal du pays n'est pas la principale raison, il y retrouve aussi sa future épouse, Dominique, avec laquelle il aura deux enfants. En 1985, il est engagé au salon de coiffure de Saint-Cyr. Les premiers mois, Gérard se familiarise avec les us et coutumes des lieux sous la houlette de son prédécesseur, présent depuis 1945.

Entrée dans la famille Saint-Cyrienne

Proche de la mythique forêt de Brocéliande, l’AMSCC semble avoir un pouvoir ensorcelant sur ses coiffeurs. En 80 ans, l’établissement n'en a compté que deux. Pour le jeune breton, le passage devait être provisoire, le temps de trouver un autre salon dans le civil. À aucun moment, il ne se serait douté qu’une fois qu’une fois en place, il ne voudrait plus en partir.

Sa curiosité et sa fidélité pour l’école sont appréciées de tous. En 1991, le bureau promotion le nomme “Capitaine Bulle”. Un surnom qu’il doit à un coiffeur de la fin du XIXe siècle à qui fut attribué pour sa longévité, le titre honorifique de capitaine. Par la suite, Gérard a l’honneur de participer aux Transmissions de traditions et découvre ce qui fait l’âme de Saint-Cyr.

Il participe même à la cérémonie du Grand Soir qui marque l’entrée des élèves officiers dans la famille Saint-Cyrienne. Bien que civil, Gérard s’y voit remettre symboliquement une paire d’épaulettes.

Récemment, il a reçu plus de 450 cartes de vœux, sans compter les nombreux messages sur les réseaux sociaux. Il a répondu à chacune de ces attentions. « À chaque cérémonie du Triomphe, les anciens passent le pas de ma porte. Les plus hautes autorités comme le CEMA et le CEMAT en font partie. On refait le monde comme si c'était hier. »

Mélancolie du départ

Témoin immuable de la vie du salon, le miroir n’a cessé de refléter la bienveillance du coiffeur envers ces chefs de guerre en devenir. Photos, affiches, insignes et autres objets en tout genre ont fait de cet endroit un musée à part entière. C’est dû en partie aux dons des promotions désireuses de marquer un témoignage de leur reconnaissance.

Elles y ont laissé aussi des kilomètres de cheveux. Sur le plan capillaire, Gérard répond aux tendances et s’adapte aux modes qui évoluent mais la fameuse Youle reste un classique du Saint-Cyrien. Peine de cœur, stress avant les examens ou heureux événement, le salon de coiffure prend le pouls de l’académie militaire.

En retour, il a pu compter sur le soutien des Saint-Cyriens, dans les moments difficiles de sa vie. « Une bienveillance partagée ». En 2021, il est reconnu par ses pairs comme la personnalité la plus appréciée de la Spéciale et reçoit le buste de Monseigneur Jean Lanusse : l’un des seuls personnels civils à l’avoir obtenu. En décembre 2023, il a pris sa retraite.

Si à cette idée, l’homme de 62 ans se réjouit, dans son regard se dévoile l’ombre de la mélancolie. Qu’à cela ne tienne ! Les enfants sont grands. Le capitaine Bulle compte vivre à côté de l’Institution qui l’a adopté. Il sait qu’il restera toujours en contact avec elle.

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