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La blessure dans l'art : « Changement de mentalité »

Texte : CNE (R) Aude NICOLAS

Publié le : 15/06/2023.

Depuis l’Antiquité, la blessure est évoquée par l’art. Peinture, sculpture… Un thème complexe pour les artistes qui contournent cette difficulté par le biais de l’héroïsation. Le blessé et les soins prodigués sont eux traités à la marge. Pourtant, avec l’introduction de la photographie et à la demande du public, cette représentation évolue vers des œuvres plus réalistes en hommage à celles et ceux dédiant leur vie au combat.

La représentation du blessé est loin d’être anodine. Les choix iconographiques qui sont faits en la matière par les artistes, de l’Antiquité à la fin du règne de Napoléon  III, obéissent à des règles précises  : un blessé célèbre permet ainsi d’évoquer l’idée de bravoure ou de noblesse du sacrifice. Son exemplarité doit renforcer l’exaltation du sentiment guerrier. Les notions de dévouement et d’abnégation sont mises en avant dès l’Antiquité.

Si la Grèce accorde une certaine attention à l’expression de la souffrance, à Rome la valeur du guerrier est incarnée par l’attitude stoïque dont il fait preuve en dépit de la douleur. Ce modèle sera repris à la fin du XVIIIe et au début du XIXe siècle avec l’essor du style néoclassique, inspiré de l’Antiquité romaine que les artistes transposent peu à peu aux héros des campagnes de la Révolution et de l’Empire.

La figure du blessé devient, à cette époque, un sujet à part entière : qu’il s’agisse de l’hommage rendu par Napoléon Ier aux blessés autrichiens, de la visite faite par l’empereur aux blessés de l’île Lobau, ou encore de Napoléon lui-même, touché au siège de Ratisbonne. Bien que la plaie soit à chaque fois couverte d’un drap ou évoquée par quelques taches rougissant à peine les linges blancs, sa présence implicite montre le courage du guerrier, héros sublimé par son impassibilité face à la douleur

L’expression exacerbée des sentiments

Au IIIe siècle avant notre ère, Attale Ier commande un monument votif orné de sculptures installées sur l’Acropole de la ville de Pergame, pour commémorer sa victoire sur les Galates. Les œuvres montrent le courage de l’ennemi vaincu et sa résistance acharnée. Cette exaltation donne une vision magnifiée du combat d’Attale.

La plupart des statues montrent des Galates cherchant à continuer la lutte en dépit de leurs plaies. Cette représentation est en fait un message politique qui s’appuie sur l’expression du “pathos”, l’une des caractéristiques du style hellénistique repris au XIXe siècle. S’inscrivant en rupture avec le stoïcisme néoclassique, les artistes romantiques mettent l’accent sur l’expression exacerbée des sentiments et de la souffrance. 

Le Cuirassier blessé quittant le feu de Géricault, résume à lui seul cette transition. Longtemps considérée comme une blessure morale en raison de l’attitude de l’homme qui regarde le ciel et semble l’interroger, il est pourtant bien touché physiquement même si le filet de sang qui coule le long de son front et vient teinter le col de sa chemise, reste discret. Cette œuvre annonce le souci réaliste qui va s’imposer dans la seconde moitié du XIXe siècle.

Révéler au spectateur

Bien qu’elle ne soit pas complètement absente au Moyen Âge et à l’époque moderne, la représentation de la blessure se trouve surtout dans les traités de chirurgie. Cette discrétion s’explique par le fait que les blessés font l’objet de soins après la bataille et non pendant. Rares sont les productions à évoquer le sujet, même si les artistes sous le règne de Louis  XV commencent à introduire des évacuations et des ambulances.

Là encore, la blessure n’est pas montrée mais évoquée par l’attitude du personnage, à demi-allongé ou porté par ses camarades. Cette nouvelle lisibilité signe un tournant vers l’ambition réaliste qui s’affirme au XIXe siècle, de manière timide dès le Second Empire puis de façon explicite avec les représentations de la guerre de 1870 à l’instar du tableau " Les dernières cartouches" de Neuville. L’emploi massif de la photographie dès la seconde moitié du XIXe siècle, allié à la demande pressante du public soucieux de suivre l’actualité des combats, transforme la représentation du blessé en un sujet à part entière, souvent traité sans concession.

Le blessé est désormais montré dans toute la dimension de sa souffrance, physique comme morale, sous l’objectif du photographe ou la caméra de l’opérateur, qui révèlent au yeux du spectateur l’intensité de la douleur que le pinceau ou le burin taisaient, atténuaient ou magnifiaient. Le changement radical des mentalités, opéré par le choc de la défaite de 1870, a largement contribué à cette mutation artistique amplifiée par l’utilisation de ces nouveaux médias. De nos jours, le dernier Salon des peintres de l’Armée a contribué à montrer les voies différentes adoptées par les artistes pour traiter ce thème inhérent au métier des armes et au don de soi qu’il implique.

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