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Un modèle RH adapté

Texte : CNE Anne-Claire PÉRÉDO

Publié le : 18/05/2022 - Mis à jour le : 21/09/2022.

L’armée de Terre fait face à des défis opérationnels et des espaces de conflictualité nouveaux. Dans ce contexte sécuritaire, sa stratégie et sa politique en matière de ressources humaines doivent lui permettre de disposer des combattants dont elle a besoin pour garantir la supériorité des forces. Cela lui pose de véritables défis en termes de recrutement, de formation, de gestion des compétences, de fidélisation, de condition du personnel. Pour y répondre, la Direction des ressources humaines de l’armée de Terre conduit d’importants chantiers de transformation. Des changements sont nécessaires à l’adaptation de son modèle RH : élaboration d’un dispositif de recrutement innovant pour cibler différemment les candidats, redéfinition des parcours de carrière notamment celui des sous-officiers, renforcement de la formation à l’image du nouveau programme dispensé à l’Académie militaire de Saint-Cyr ou Coëtquidan. Enfin, ces travaux visent à poursuivre l’amélioration des conditions d’exercice du métier des armes. Cette manœuvre d’ampleur assure les unités de bénéficier ʺdu bon soldat, au bon endroit, au bon momentʺ.

Un recrutement optimisé

Pour mieux attirer les jeunes tout en améliorant leur sélection, l’armée de Terre s’appuie sur des spots publicitaires immersifs et la transformation digitale. L’enjeu : convaincre plus facilement et cibler davantage les candidats. Elle s’appuie également sur un accompagnement personnalisé des potentielles recrues par ses conseillers en recrutement.

Finie la communication de masse. L’heure est à la personnalisation et l’authenticité des messages. L’armée de Terre, un des employeurs les plus importants de France avec plus de 15 000 postes à pourvoir par an, accompagne la tendance avec sa dixième campagne de recrutement lancée en septembre 2020. Diffusée sur la toile, à la télévision ou via des affiches, elle révèle la richesse et la singularité de la vie de soldat tout en montrant la diversité des spécialités. Grâce à des produits courts, des slogans forts et des images prises sur le vif, elle fait vivre au spectateur une première immersion comme soldat.

 

Elle comptera quatre-vingt films et cinquante visuels d’ici à 2023. Les militaires eux-mêmes s’y retrouvent. « On veut convaincre les jeunes de mettre leurs compétences au service de l’armée de Terre. C’est une nécessité pour les filières déficitaires ou en concurrence directe avec le secteur privé, comme les maintenanciers aéronautiques », explique le colonel Nicolas, chef du bureau marketing de la sous-direction du recrutement (SDR).

Mieux capter l’attention

Élaborer le bon message ne suffit plus. Pour atteindre le public recherché, la campagne mise sur le ʺbig dataʺ et le digital. La SDR exploite pleinement les données pour adresser des contenus ciblés et adaptés aux appétences de chacun. « Cette mécanique permet de toucher des profils particuliers, essentiels dans une armée technologique, mais aussi des jeunes qualifiés », éclaire le colonel. Depuis le site Internet sengager.fr, il est possible d’échanger avec soixante-dix soldats, de tous grades et origines, “ambassadeurs du recrutement”, connectés en permanence.

Un Chatbot complète ce dispositif pour faciliter la navigation des internautes sur le site et répondre à leurs questions. Toujours sur le site, les usagers peuvent prendre rendez-vous dans l’un des cent-cinq centres d'information et de recrutement des forces armées (Cirfa) en métropole et outremer. Ces évolutions numériques soulignent la volonté de s’adapter aux usages de la jeunesse, force vitale des armées, pour mieux capter son attention tout en l’informant sur le métier des armes. Intégrer nos rangs doit se faire en toute connaissance de cause. Un programme d’envoi de Newsletters a également été mis en place pour faire mûrir le projet d’engagement de ceux qui hésitent. 

La marque employeur

Les cinq groupements de recrutement et de sélection (GRS) évaluent les aptitudes spécifiques à servir l’Institution grâce à des épreuves sportives, des entretiens psychologiques et des contrôles médicaux. Entre quatre et six mois sont nécessaires pour rejoindre l’armée de Terre. Dans ce parcours de patience, le rôle du conseiller en recrutement est essentiel pour maintenir l’intérêt d’une potentielle recrue. Le capitaine Pierre, chef du Cirfa de Vincennes, assure : « Selon les résultats aux évaluations et les aspirations du candidat, nous étudions toutes les possibilités d’orientation quitte à différer la signature du contrat ».

À toutes les étapes de son recrutement, le jeune est confronté à un discours cohérent et transparent. Des spots publicitaires à son passage en Cirfa, de sa formation initiale à son quotidien en régiment, le soldat doit retrouver ce pour quoi il a choisi de s’engager. C’est le principe de la “marque employeur”, reflet de la culture d’une entreprise. Chaque militaire à son niveau en est un ambassadeur. La marque employeur de l’armée de Terre repose en partie sur les valeurs suivantes : exercer un métier qui a du sens au service de la Nation, vivre une expérience humaine hors du commun, la fraternité, le mérite ou l’équité.

Le saviez-vous ?

Les prises de rendez-vous en Cirfa ont augmenté de 50 % entre 2019 et 2021.

Le nouveau parcours professionnel des sous-officiers

Le parcours professionnel des sous-officiers évolue. Mise en place entre 2021 et 2025, cette réforme permettra à l’armée de Terre de disposer de sous-officiers formés et qualifiés à même de répondre aux défis d’un engagement majeur. Le point d’orgue réside dans la refonte complète des brevets existants afin de redonner de la cohérence entre le grade, la rémunération, l’emploi et la formation des sous-officiers.

La mise en œuvre du programme Scorpion induit la maîtrise de nouveaux savoir-faire techniques et tactiques. Cette modernisation n’est pas sans implications sur les sous-officiers, à la fois chefs tactiques et spécialistes, qui doivent se former et obtenir les qualifications nécessaires afin de se préparer aux combats de demain. C’est pourquoi, la Direction des ressources humaines de l’armée de Terre (DRHAT) a repensé le parcours professionnel de cette catégorie, “colonne vertébrale” de l’armée de Terre.

Cette réforme majeure a pour objectif de :

  • redonner de la lisibilité au cursus de sous-officiers au travers de 4 balises ou brevets cohérents avec l’emploi occupé ;
  • durcir les compétences notamment de niveau chef de section ;
  • valoriser les responsabilités occupées et les brevets obtenus par la mise en place d’un galon de sergent-chef BM2 et d’un brevet de chef de section.

Sa mise en œuvre a débuté en 2021 et s’est traduite par l’évolution de la première partie de carrière. La réforme offre une meilleure gradation dans l'acquisition des compétences en adéquation avec le grade détenu et l'emploi occupé.

Jusqu’à présent, à l’issue de sa formation initiale, sanctionnée par l’obtention du “Brevet de spécialiste de l’armée de Terre”, un sous-officier devait attendre au minimum sept ans pour prétendre à la formation de deuxième niveau qui atteste - au travers du “Brevet supérieur de technicien de l’armée de Terre” (BSTAT) - de son aptitude à commander une trentaine de soldats. Un processus trop long au regard des besoins opérationnels et qui ne correspond plus à la réalité des fonctions occupées par les sous-officiers.

C’est pourquoi le BSTAT est remplacé par :

  • un “Brevet militaire de deuxième niveau ou BM2” ciblé sur le métier de sous-officier adjoint qu’un sous-officier pourra détenir au bout de cinq ans de services ;
  • un “Brevet militaire de troisième niveau ou BM3” correspondant au poste de chef de section. Il pourra être obtenu à partir de trois ans après le BM2 et sera associé au moment de la prise de fonctions à un insigne inspiré du ʺmédaillon de vétéranceʺ institué en 1771.

« Une meilleure gradation dans l’acquisition des compétences »

Ces diplômes s'accompagnent d’une nouvelle politique en matière d’avancement qui s’inscrit en cohérence avec la réussite à ces différents brevets. Ainsi, la promotion au grade de sergent-chef sera désormais consécutive à l’obtention du BM2. « La réforme offre une meilleure gradation dans l’acquisition des compétences en adéquation avec le grade détenu et l’emploi occupé. En outre, la formation est renforcée. La disparition du BSTAT ne se traduit donc pas par une baisse des compétences », insiste le colonel François, chef de la section sous-officiers du bureau politique des ressources humaines de la DRHAT.

Si la rénovation du cursus RH des sous-officiers se justifie en partie par le déploiement des équipements Scorpion et la volonté de durcir l’armée de Terre, elle répond aussi à un autre enjeu. Près de 50 % des sergents-chefs ne sont pas titulaires du BSTAT. Ce déficit s’explique notamment par la faiblesse du recrutement entre 2004 et 2015, puis la remontée massive des effectifs en 2016 liée à la dégradation du contexte sécuritaire qui se traduit par un corps de sous-officiers composé majoritairement de jeunes sergents et sergents-chefs.  

Une formation rénovée

Dans des conditions de combat plus dures, les futurs chefs devront agir et décider avec discernement dans l’intérêt de la mission, si besoin en engageant leur propre vie et celle de leurs soldats. Leur formation doit leur donner les clefs pour assumer cette responsabilité hors du commun. Pour cela, le cursus d’enseignement dispensé par l’Académie militaire de Saint-Cyr Coëtquidan a été rénové. Point saillant : une meilleure prise en compte des sciences humaines.

« Dans une situation stressante, un chef ne peut pas perdre ses moyens », témoigne le capitaine Louis, chef de section à l’Académie militaire de Saint-Cyr Coëtquidan. Quelles que soient les conditions, il doit rester lucide et garder l’initiative : ses décisions engagent la vie des subordonnés dont il porte la responsabilité. Les élèves-officiers doivent donc, tout au long de leur formation, s’aguerrir physiquement et moralement, cultiver goût du risque et aptitude au commandement, mais également méditer sur la portée de l’engagement et des responsabilités qui en découlent.

« Le changement de milieu peut être brutal pour ces jeunes d’à peine vingt ans », reconnaît le lieutenant-colonel Axel, directeur de la nouvelle “division culture militaire et art de la guerre”. Depuis la rentrée 2021, les futurs chefs de section bénéficient d’un programme réformé. Leur formation se veut plus progressive. « Le positionnement des cours dans la scolarité n’est pas le hasard du calendrier. On leur dispense l’enseignement qu’ils sont prêts à recevoir à l’instant T, en fonction de leur maturité, pour qu’ils en saisissent au mieux les enjeux », souligne le lieutenant-colonel.

Une instruction sur mesure

Le facteur humain est également pris en compte dans le projet pédagogique de la “grande école du commandement” grâce à l’introduction de disciplines comme la sociologie, la psychologie, l’histoire… Cela se traduit par des conférences et des ateliers tout au long de leur parcours tels que “la sociologie du groupe et de la décision” ou “la psychologie de l’action et du commandement”.

« Un chef doit créer et fédérer un groupe autour d’un projet commun. Il est celui qui a la capacité d’amener ses soldats plus loin. Pour cela, il doit donner un sens à leur action », insiste le capitaine Louis. Toutes les matières sont interdépendantes et se complètent pour délivrer les enseignements fondamentaux nécessaires aux chefs de demain. Ainsi, le droit sur les conflits armés sera lié à des contenus éducatifs qui poussent plus loin la réflexion comme la philosophie sur la mort.

« Ce n’est pas au combat que nous avons le temps de nous y préparer. Cette préparation permet de réfléchir à la portée des décisions pouvant être prises », précise le lieutenant-colonel. Cette instruction, tournée vers l’engagement opérationnel, a été pensée sur mesure à l’instar des modules de psychologie conçus en lien avec la Cellule d’intervention et de soutien psychologique de l’armée de Terre.

Une spécificité française reconnue

Autre nouveauté : à leur sortie d’école, les lieutenants seront diplômés en “Optimisation des ressources des forces armées”, (ORFA, ex-TOP). Un bénéfice pour eux et leur troupe. « La gestion de la fatigue est stratégique : en mission, elle doit être prise en compte par le commandement dans le cycle de vie opérationnelle », assure le capitaine Louis. Le savoir délivré par l’Académie militaire agit sur tous les spectres. C’est une boîte à outils dans laquelle les officiers pourront piocher selon les situations rencontrées.

Testée depuis 2020, cette formation rénovée est mise en œuvre depuis septembre et va s’appliquer progressivement à toutes les promotions entrantes des écoles. La réforme a aussi permis de décloisonner les différents recrutements et de leur donner une assise commune. L’Académie militaire offre ainsi un cursus de formation cohérent pour ses trois écoles. « C’est une spécificité française reconnue et enviée », assure le lieutenant-colonel Axel.

La condition du personnel, une priorité

Le métier de militaire n’est pas une profession comme les autres. Il impose au soldat et à son entourage, de nombreuses contraintes. Absences, mobilité… Pour lui permettre de se consacrer sereinement à ses missions, l’amélioration de la condition du personnel est une des priorités du chef d’état-major de l’armée de Terre.

La Direction des ressources humaines de l’armée de Terre (DRHAT) assure au combattant un cadre propice pour exercer son métier de manière soutenable et durable. Dans un contexte d’engagement fort, « l’efficacité opérationnelle en dépend, affirme le colonel Vincent, chef du bureau “condition du personnel - environnement humain” de la DRHAT. C’est aussi une reconnaissance des contraintes et sujétions qui incombent aux militaires ».

L’amélioration de la condition du personnel est un axe d'effort permanent du Cemat. Elle concerne les conditions de vie et de travail des soldats au quotidien, le soutien dont ils dépendent et l’accompagnement des familles. Pour identifier les préoccupations de ses subordonnés, le Cemat dispose d’outils : le rapport sur le moral des soldats, ou encore les missions menées par l’inspection de l’armée de Terre. Les présidents de catégories et membres du conseil de la fonction militaire-Terre sont aussi des leviers importants. Parmi les grands sujets du moment : l’accompagnement de la mobilité.  

Identifier les besoins

« L’armée de Terre est “une armée de territoires” dispersée en petites et grandes garnisons. Les préoccupations ne sont pas les mêmes partout », souligne le colonel. Pour cette raison, un questionnaire est envoyé à l’ensemble des chefs de corps tous les six mois pour identifier des besoins spécifiques et y répondre. Certaines problématiques plus globales relèvent directement du ministère et sont ensuite déclinées dans chaque armée : le logement ou la famille par exemple.

Des projets initiés au niveau local peuvent être ensuite portés par le ministère. C’est notamment le cas de la création des maisons Athos au profit des blessés, dont l’idée est née au sein de la communauté de l’armée de Terre. La mise en œuvre de ce dispositif témoigne bien de la politique propre à la condition du personnel : rendre au soldat ce qu’il donne lui-même à l’Institution.