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Scorpion, poursuite de la transformation

Texte : LTN Stéphanie RIGOT

Publié le : 19/05/2022 - Mis à jour le : 21/09/2022.

Le programme Scorpion (Synergie du contact renforcé par la polyvalence et l’infovalorisation) est la pierre angulaire de la transformation capacitaire de l’armée de Terre. Le programme Scorpion est le volet le plus visible de la modernisation de l’armée de Terre mais cette modernisation concerne tous les segments : équipements “à hauteur d’hommes” dont 58 % ont été livrés. Ce système de combat flexible poursuit son implantation et évolue en permanence. Avec le déploiement en 2021 d’un premier groupement tactique interarmes sur Griffon au Sahel, l’action terrestre pour remporter la bataille est redessinée. Le programme a ainsi pris un tournant opérationnel majeur. TIM dresse un point de situation des prochaines livraisons et fait découvrir les coulisses de la préparation et du déploiement du Griffon en opérations extérieures. Bienvenue dans l’ère “Scorpionisée”.

État des lieux

Les livraisons de véhicules et de matériel sont la concrétisation des évolutions capacitaires de l’armée de Terre au regard de la loi de programmation militaire. Aujourd’hui 11 % des matériels ont été livrés. De la formation sur les nouveaux véhicules aux prochaines livraisons, découvrez les points clés de ce programme.

« Une unité élémentaire est dite 100 % transformée lorsqu’elle s’est totalement approprié son nouveau matériel. Il n’y a pas de retour en arrière possible, c’est irréversible », expose le lieutenant-colonel Gontran, chef de la cellule études-synthèse du Bureau programmes et sytèmes d’armes (BPSA) de l’état-major de l’armée de Terre.

Cette année, les 70 premiers Serval seront livrés au centre d’appui et de préparation au combat interarmes de Mourmelon. Quant au 113 prochains Griffon et 18 Jaguar, ils seront réceptionnés en 2022 par le centre de formation et de perception interarmes de l’armée de Terre du 1er régiment de chasseurs d’Afrique (1er RCA). Les instructeurs du 4e escadron du 1er RCA forment les futurs utilisateurs. Pour cela, ils suivent d’abord une séquence de quatre semaines auprès des industriels.

Reproduira un environnement numérisé

Après avoir appris toutes les caractéristiques du nouvel engin (Griffon ou Jaguar) et ses postes (pilotage, châssis, tourelle), ils forment à leur tour les équipages des régiments. Les premières sessions de formation sur Jaguar auront lieu dès le mois de mai au profit du 1er régiment étranger de cavalerie.Toutes ces nouveautés supposent une transition longue.

« Il faut garantir un niveau suffisant d’activité et de préparation opérationnelle aux forces, et continuer d’honorer le contrat opérationnel, tout en poursuivant la transformation Scorpion », précise le chef de la cellule études-synthèse. Aussi, pour assurer le parfait usage de ces nouveaux engins, des simulateurs spécifiques permettront aux unités transformées de s’entraîner, avec notamment une capacité de simulation embarquée (Semba) qui reproduira un environnement numérisé au sein même des engins.

2025 en ligne de mire

Cette année, les 5 premiers Griffon “engin poste de commandement (EPC) SOTM4” et les 5 premiers Griffon VOA seront livrés à l’armée de Terre. Au total, 11 % des matériels du programme ont été livrés fin 2021, avec 2025 en ligne de mire. « C’est en quelque sorte le ˝point de bascule˝ entre l’ancienne et la nouvelle génération de matériels avec l’objectif de disposer de l’équivalent d’une première division Scorpion opérationnelle », précise le lieutenant-colonel Gontran.

Le premier groupement tactique interarmes Griffon, projeté en bande sahélo-saharienne en 2021 a, d’ores et déjà, marqué un tournant dans l’ère Scorpion pour les forces terrestres. Ce système est une réalité depuis la transformation de quatre régiments d’infanterie (3e régiment d’infanterie de marine, 13e bataillon de chasseurs alpins,1er régiment d’infanterie, 21e régiment d’infanterie de marine,  à hauteur d’une unité élémentaire chacun en 2020, puis de deux régiments supplémentaires, la 13e demi-brigade de Légion étrangère et le 126e régiment d’infanterie en 2021. Cette année, cinq nouvelles unités7 seront “Scorpionisées”

Un déploiement adapté en opération extérieure

Fin 2021, le premier groupement tactique interarmes Scorpion a été déployé au profit de l’opération Barkhane. De la préparation à la projection, sans oublier le suivi sur le théâtre, découvrez comment a été relevé le défi logistique du déploiement des Griffon.

En 2016, le chef d’état-major de l’armée de Terre ambitionne de projeter un groupement tactique interarmes en opérations extérieures (Opex) à l’horizon 2021. Cinq ans plus tard, c’est chose faite. Dès 2017, la division capacité Scorpion du commandement des forces terrestres a démarré les travaux de cette transition. Sa mission : former, entraîner et préparer à l’engagement opérationnel les unités équipées des nouveaux matériels.

Avant d’envoyer les Griffon, la première étape vise à “Scorpioniser” Barkhane. Cela signifie, rendre les nouveaux véhicules interopérables avec ceux d’anciennes générations et numériser l’espace de bataille, grâce par exemple, au socle technique commun d’échange. Ce méta-système met en communication l’ensemble des dispositifs d’informations interconnectés. Il s’agit de conserver à chaque instant les liaisons en phonie et transmissions de données entre unités, quel que soit leur équipement, avec le moins d’impact pour les utilisateurs.

Deux mois d’acheminement

Fin 2020, les premiers tests par temps chaud du Griffon ont été réalisés par la Section technique de l’armée de Terre (STAT) à Djibouti. « Les évaluations technico-opérationnelles sollicitent le véhicule blindé multi-rôle, appelé Griffon, dans des températures extrêmes et au maximum de ses performances », explique le lieutenant-colonel Arsène, officier de programme Griffon à la STAT.

Une fois validés, les matériels sont mis en configuration d’engagement opérationnel. Ils sont équipés de kits ˝opérations extérieures˝ (des capteurs spécifiques et une protection dédiée par exemple). Une fois la mise à niveau effectuée, les blindés sont envoyés dans la zone de regroupement et d’attente de Miramas dans les Bouches-du-Rhône.

Tout l’environnement Scorpion, armement collectif, GPS, nouveaux brouilleurs, y est installé et vérifié. En parallèle, les ˝autonomies initiales de projection˝ y sont préparées. Elles assurent à la force la ressource de maintenance nécessaire (comme des pièces de rechange) pour trois mois. Débute ensuite un long parcours d’acheminement. Direction La Rochelle par voie ferrée pour embarquer à bord d’un navire affrété par le CSOA pour quinze jours de trajet en mer jusqu’à Abidjan.

Premières utilisations des capacités Scorpion

Environ 7 500 kilomètres et deux mois plus tard, les matériels arrivent sur la plateforme opérationnelle désert de Gao. Ils y sont conditionnés au sein de leurs hangars et ateliers de maintien en condition opérationnelle dédiés. La construction de ces infrastructures Scorpion, spécialement conçues pour les Griffon, a nécessité près de neuf mois de travaux.

« La priorité est que le Griffon puisse être engagé rapidement en mission une fois débarqué sur le théâtre », expose le lieutenant-colonel David, chef de la section logistique à l’état-major opérationnel Terre. Les premières utilisations des capacités Scorpion permettent de bénéficier de précieuses informations. Une mission d’audit sur les retours d’expériences (Retex) technico-opérationnelles du premier mandat Griffon a été menée en janvier 2022 sur la base de Gao.

Du Retex pour durer

Une équipe de la STAT, renforcée d’agents de la Structure intégrée du maintien en condition opérationnelle des matériels terrestres et de la Direction générale de l’armement ont collecté des informations essentielles. L’objectif ? Observer et analyser les éventuels points bloquants pour développer une solution afin de l’adapter à plus grande échelle.

« Il s’agit par exemple d’examiner comment le Griffon a enduré le théâtre malien après ces premiers mois d’utilisation intensive. C’est essentiel d’étudier l’évolution de cette capacité, sa plus-value opérationnelle, et d’en tirer le maximum d’informations pour durer », explique le lieutenant-colonel Arsène. Ce suivi est primordial pour porter l’effet opérationnel majeur de l’armée de Terre pour l’année prochaine : équiper une brigade interarmes projetable et infovalorisée pour la fin 2023. 

Les Griffon se préparent

Au cours de l’été 2021, les Griffon ont été déployés pour la première fois en opération extérieure. Avant de rejoindre les militaires engagés au Sahel, les engins ont été dotés de protections supplémentaires pour affronter le terrain aride sahélien et la menace IED.

« Attention au marchepied. » La voix de Pierrick, employé de Nexter, couvre le vacarme. Avec quatre autres maintenanciers civils, il s’affaire sur la préparation opérationnelle du Griffon avant son premier déploiement en opération extérieure. Huit semaines durant, à Miramas, une trentaine d’engins blindés de nouvelle génération passent entre les mains expertes des maintenanciers militaires et civils du 4e régiment du matériel, renforcés de mécaniciens d’autres régiments du matériel du commandement de la maintenance des forces terrestres (COM MF), ou encore d’unités déjà dotées du véhicule.

Ils sont accompagnés d’employés des sociétés Nexter, Thales et Arquus. Ces industriels de l’armement se sont réunis en groupement momentané d’entreprises (GME) pour réaliser les Griffon. Mise à jour de logiciel, camouflage, équipements supplémentaires…Durant cette phase, la configuration des blindés est ajustée pour leur toute première utilisation par les forces déployées en bande sahélo-saharienne.

Modifications adaptées

Toutes les modifications apportées sont issues des retours d’expérience d’utilisation de ces véhicules depuis leur mise en service. Les transformations sont adaptées en fonction de la destination des Griffon. Pour leur première projection sur Barkhane, les véhicules subissent une phase de rétrofit logiciel réalisée par Thales. Les agents de Nexter interviennent sur la caisse du véhicule : ils démontent certains éléments, comme les bandes réfléchissantes et aimants de limitation de vitesse, afin de procéder au montage de kits Opex à raison de quatre personnes par véhicule, quatre véhicules en simultané.

Les équipes fixent les éléments de surblindage sur la caisse et le toit, de surprotection au niveau des postes de tireur avant et arrière, de coupe-fil et de sonorisation. « C’est le premier renfort auquel je participe. Ce n’est pas compliqué si on est méthodique et méticuleux. De plus, les industriels nous orientent en cas de besoin », explique le sergent Tardrew, chef d’équipe mécanicien au 21e régiment d’infanterie de marine.

Tests approfondis

Les équipes sont dotées de cartes de travail fournies par les industriels. Ces fiches descriptives des kits expliquent leur montage sur le véhicule. Le GME, accompagnant chaque équipe, transmet son expertise à la manière du compagnonnage. Ils sont une vingtaine, présents quatre semaines sur place. Un gage d’efficacité selon l’adjudant Sébastien, renfort du 6e régiment du matériel : « Plus-value dans notre formation et notre expérience, monter ces kits nous avantagera aussi en Opex. Nous saurons opérer certaines interventions plus rapidement ».

Après cette étape mécanique, viendra celle des vérifications : une série de tests approfondis afin de s’assurer que le matériel installé est fonctionnel. De retour de la bande sahélo-saharienne, les Griffon sont reconditionnés en configuration métropole avant leur prochaine projection.

Franchir un cap

Déployés depuis fin 2021 au Sahel, le capitaine Roman et ses hommes du 3e régiment d’infanterie de marine sont les premiers à avoir foulé les pistes sableuses à bord des Griffon. Commandant d’unité au sein du groupement tactique désert Korrigan, il revient sur les qualités techniques et tactiques de ce nouveau matériel en opération extérieure.

« Dans nos missions de harcèlement des groupes armés terroristes et durant l’escorte des convois logistiques, le Griffon nous a prouvé sa fiabilité et son endurance. Depuis avril 2020, la compagnie s’est approprié cet engin blindé et son environnement. Cette phase a duré au total dix-huit mois. Une fois sur le théâtre, la prise en main du véhicule sur les pistes du désert malien nous a confirmé sa supériorité tactique.

J’ai la sensation que nous avons franchi un cap en terme de rythme de déplacement et de protection contre les engins explosifs improvisés grâce au blindage et à la hauteur de caisse permettant une protection passive en cas d’explosion. Le Griffon détient aussi des capacités de franchissement et d’accélération importantes.

Le rythme de l’opération accéléré

Tout comme le véhicule de l’avant-blindé, c’est un véhicule de transport de troupe mais il se distingue par l’intégration native d’équipements de détection, de protection, d’observation et de communication de dernière génération. La vraie nouveauté avec le Griffon, c’est l’utilisation du nouveau système d’information du combat Scorpion (SICS).

Cette technologie fournit une lecture globale de l’action et permet, si nécessaire, de corriger une éventuelle faille. En cas de fragilité sur un flan de mon dispositif, je peux rapidement le réarticuler pour sécuriser à nouveau le sous-groupement. Le système me donne la possibilité d’envoyer, sans parler à la radio, mes ordres aux chefs de section et de groupe qui les reçoivent et les traitent immédiatement. La transmission des consignes et le rythme de l’opération sont nettement accélérés.

Une vision claire

Entre l’idée de manœuvre que je conçois et celle réalisée sur le terrain, il existe parfois une différence. Le SICS rend possible un meilleur calcul du risque et des approches tactiques plus audacieuses car j’ai une vision claire de mon dispositif. En tant que chef, j’ai ainsi une meilleure conduite des opérations par le suivi exact, et en temps quasi réel, de la situation tactique amie et ennemie. Au bilan, je ressens beaucoup de fierté d’avoir mené mes hommes en Griffon en opération extérieure. »