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Les ressources énergétiques et naturelles

Texte : CNE Eugénie LALLEMENT

Publié le : 12/10/2022.

L'année 2022 a plus que jamais été marquée par les troubles climatiques et géopolitiques : sécheresse des sols, inondations, incendies, guerre en Ukraine, tensions dans la zone Asie-Pacifique, crise de l’énergie et du gaz... Dans ce contexte, le ministère des Armées approfondit sa réflexion sur l’accès aux ressources naturelles et énergétiques, indispensables au fonctionnement de ses forces. Une préoccupation qui se justifie d’autant plus que leur raréfaction exacerbe les tensions de toutes sortes, affectant la paix et la sécurité mondiales. Face à cet environnement toujours plus contraignant, l’armée de Terre s’adapte pour maintenir une capacité opérationnelle totale en tous lieux et en toutes circonstances. Elle s’appuie pour cela sur des unités spécialisées. Son action s’inscrit dans une politique ministérielle globale.

Vers la sobriété énergétique

Face aux préoccupations écologiques, les armées se questionnent sur les défis posés par la nécessaire adaptation de leurs actions. Une réflexion déclinée au niveau des trois armées. Volontaire, l’armée de Terre cherche des solutions pour réduire son empreinte énergétique.

Les bouleversements climatiques sont une réalité. Ils affectent la sécurité internationale de manière directe et indirecte, comme les catastrophes naturelles ou la compétition pour l’accès aux ressources. Ces évolutions pèsent sur les armées, tant sur leur engagement que sur leur fonctionnement au quotidien. Pour y répondre, la première conférence internationale de niveau ministériel intitulée « Climat et défense : quels enjeux ? », s’est tenue à Paris en octobre 2015, en marge de la COP21.

En septembre 2020, un groupe de travail a émergé pour chercher des solutions efficaces et avantageuses pour les armées mais aussi pour la planète. À sa tête, l’état-major des armées (EMA) avec le Secrétariat général pour l’administration (SGA) et la Direction générale des relations internationales et de la stratégie (DGRIS). Ensemble, ils ont élaboré la stratégie énergétique de défense (SED), dont l'organisation repose sur quatre piliers (cf. encadré). La division énergie opérationnelle (DIV-EO) a été créée en novembre 2021 par le ministère des Armées, qui a lancé l’initiative « Changement climatique et forces armées », soutenu par vingt-cinq États.

L’ensemble de ces actions convergent vers un même objectif : préparer les armées aux conséquences du changement climatique et les inviter  à participer activement à l’effort global de réduction de leur empreinte environnementale, tout en transformant la transition énergétique en un atout pour les opérations. Par exemple, les chaufferies biomasses fleurissent dans les régiments comme au 13e régiment des chasseurs alpins. D’autres encore, comme le 2e régiment étranger du génie, fonctionnent en partie avec l’énergie solaire (panneaux photovoltaïques).

« Consommer moins, mieux et sûr »

La transition énergétique est sur toutes les lèvres. « Pour l’énergie, ce n’est pas tant la ressource en elle-même qui fait défaut mais un problème de disponibilité. Une situation à laquelle la France et les pays européens sont confrontés. En cause, les tensions géopolitiques actuelles », explique l’ingénieur de 1re classe François. Pour préserver la liberté d’action des armées, tout en réduisant leur dépendance envers le pétrole et les matières premières, l’EMA a conçu une politique de l’énergie opérationnelle qui s’inscrit dans la vision stratégique du CEMA.

Celle-ci repose sur le triptyque « consommer moins, mieux et plus sûr », autrement dit, la sobriété énergétique, l’efficience de la consommation et la sécurité d’approvisionnement. Les responsabilités de l’EMA s’exercent dans un domaine qui recouvre les énergies indispensables à la réalisation des missions : sur le territoire national et au sein des forces prépositionnées, d’une part, au soutien au stationnement, à l’appui au développement et à la mobilité des opérations d’autre part.

1 % de biocarburant aéronautique

La transformation énergétique passe par la volonté de trouver de nouvelles sources d’énergie comme les biocarburants, l’éolien, le photovoltaïque ou la biomasse. Mais le processus est long : « Tous les systèmes d’armes actuels fonctionnent grâce au pétrole », souligne l’ingénieur de 1re classe. Les premières mesures concrètes ont été l’utilisation d’un carburéacteur contenant 1 % de biocarburants aéronautiques, dès 2022, comme cela a été le cas lors du défilé du 14 juillet.

Par ailleurs, la rédaction d’un document, destiné aux acteurs du domaine capacitaire, permettra de les orienter sur les perspectives de l’énergie à l’horizon 2040. Ce travail prospectif sur les énergies de la mobilité, de l’aide au  déploiement et du soutien au stationnement, aidera à choisir les énergies des programmes futurs et permettra de mieux appréhender l’impact de l’énergie sur les capacités. Pour le milieu terrestre, la réflexion sur l’hybridation des moteurs des Griffon et des VBCI est d’ores et déjà lancée.

Soutenir la mobilité opérationnelle

Pour faire rouler ses véhicules et faire voler ses hélicoptères, l’armée de Terre s’appuie sur le Service de l’énergie opérationnelle. Il rationalise l’approvisionnement en carburant permettant de réduire l’empreinte logistique de transport des énergies. Un travail mené en lien avec les Terriens.

En opérations extérieures comme sur le territoire national, les forces armées françaises dépendent du carburant pour leurs déplacements ou l’emploi de leurs systèmes d’armes. « L’approvisionnement doit être sans faille », assure l’ingénieur en chef de 1re classe François, sous-directeur du budget finance à la direction du service de l'énergie opérationnelle (DSEO). Pour assurer ce soutien, le rôle du Service de l’énergie opérationnelle (SEO) est capital. Sa mission ne débute pas quand les unités arrivent sur le théâtre. « Elle commence bien en amont, sur le territoire national, via la mise en condition opérationnelle notamment », affirme le commandant Marie-Laure, officier emploi au bureau pilotage et performance à la DSEO.

Son périmètre d’intervention s’étend aussi bien aux carburants dits “carburéacteurs”, qu’aux ingrédients, produits divers et emballages (IPDE). L’avitaillement des aéronefs se distingue du ravitaillement des engins terrestres. Le premier est réalisé par le personnel du SEO, en raison des enjeux liés à la sécurité des vols et au suivi de la qualité du produit. Le second relève des stations-service des groupements de soutien des bases de défense (GSBdD) et des régiments de l'armée de Terre.

Diversifier ses fournisseurs

La politique du carburant unique est au coeur du soutien en énergie des opérations. Elle a permis d’alléger considérablement la chaîne logistique, les effectifs, l'empreinte au sol et de garantir aux armées une liberté d'action. Sur le territoire national, le SEO achète la ressource auprès de ses fournisseurs et la stocke dans ses centres de ravitaillement des essences, ses dépôts des essences spécialisés ou dans les camps. Il peut aussi livrer directement les soutes à essence des GSBdD, auprès desquelles les unités viennent se ravitailler. Le transport est le plus souvent sous-traité.

En Opex, le SEO s’approvisionne au plus près des zones d’opération. Il diversifie ses fournisseurs pour être moins vulnérable. La sécurisation des flux est primordiale. Les dépôts des bases logistiques interarmées de théâtre concentrent la majorité du carburant, qui est acheminé par la suite, vers les bases opérationnelles avancées ou des dépôts dédiés.

« Des stocks de sécurité »

Le personnel du SEO a l’habitude de travailler avec les Terriens étant souvent intégré au sein des bataillons logistiques en opération. En Opex, ils sont souvent imbriqués dans les convois, sous escorte. L'adjoint interarmées de soutien pétrolier conseille le commandant de la force (Comanfor). Ce dernier fixe dans l’ordre administratif et logistique, les quantités de carburant dont il a besoin pour accomplir sa mission.

Pour pallier d’éventuelles difficultés d’approvisionnement, lors d’une crise par exemple, des stocks de sécurité sont assurés par le SEO. Cette ressource de secours laisse le temps au SEO de se réorganiser et de se réapprovisionner auprès des fournisseurs, dans la zone. Les ingrédients, les produits divers et les emballages sont eux projetés sur le territoire depuis la métropole.

Les indispensables eau et électricité

Avec ses spécialistes en production d’eau et d’énergie et son matériel unique, le 31e régiment du génie joue un rôle majeur dans l’appui au déploiement des forces. Zoom sur cette unité engagée sur tous les fronts.

À chaque ouverture de théâtre, les sapeurs sont incontournables dans l’appui au déploiement des forces terrestres. Installer les réseaux électriques pour l’éclairage des tentes et l’alimentation des prises de courant, fournir aux soldats de l’eau potable… des compétences que détient le 31e régiment du génie (31e RG). Avec ses compagnies spécialisées dotées de groupes électrogènes performants, l’unité est leader dans la production et la distribution d’énergie électrique. « Nos spécialistes assurent le déploiement énergétique de l’avant », souligne le colonel Cédric Méreuze, chef de corps du 31e RG.

Grâce à ses stations de traitement des eaux mobiles (STEM) que la 22e compagnie d’appui possède depuis 2018, le régiment est aussi capable de produire de l’eau destinée à la consommation humaine (EDCH), lorsque l’approvisionnement auprès des fournisseurs locaux fait défaut.Récemment en Roumanie, une quarantaine d’électromécaniciens ont été déployés sur court préavis pour répondre aux besoins du groupement tactique de présence renforcé.

« Leur mission était de produire et d’acheminer l’énergie sur les bases de Constanta et de Cincu, et d’installer les réseaux en eau, avec leurs camarades du 19e régiment du génie », précise le colonel. Une action indissociable de celles du Service de l’énergie opérationnelle (SEO), du Service d’infrastructure de défense (SID) et de l’arme du train, avec qui le dialogue est constant.

« Alimenter 1 500 hommes sous tente »

En opération extérieure, le soutien énergétique intervient en deux phases : la première, l’appui au déploiement, concerne les unités du génie ; le soutien au stationnement ensuite, est dans la main du SID une fois les unités bien implantées sur le territoire. Le 31e RG peut agir dans les zones non desservies par un réseau de distribution ou impossibles à raccorder à celui existant. Ses atouts : ses électromécaniciens capables d’intervenir 24h/24h sur tout type d’installation, de la conception au dépannage, et ses groupes électrogènes thermiques, dont les plus performants atteignent une puissance de 400 kilowatts-heure (kWh).

« Nous pouvons alimenter jusqu’à 1 500 hommes sous tente. Nous sommes les seuls à pouvoir le faire », explique Jean-Alexis, adjudant d’unité à la 972e compagnie. Les groupes électrogènes sont déployés par trois : un principal qui tourne en permanence, un de secours en cas de panne ou de destruction et enfin un dernier qui, couplé au premier, permet d’étendre la couverture énergétique. Les appareils fonctionnent avec du carburéacteur. Le soutien du SEO est donc indispensable.

Le saviez-vous ?

Le 31e RG participe à l’échelon national d’urgence rénové. À ce titre, il est déployable en moins de dix jours.

« La France a une vraie avancée technologique »

« En opération, il faut compter 150 litres d’eau par homme et par jour », explique le lieutenant Olivier, chef de la section “eau” de la 22e compagnie d’appui. Pour s’approvisionner, l’armée de Terre peut, soit acheter la ressource directement auprès du pays hôte, soit la produire. Dans ce cas, une autorisation auprès des représentants locaux est nécessaire pour puiser l’eau apparente (qui ne nécessite pas de forer).

« La mission du régiment est la récupération d’eau jusqu’à la production. Il n’a pas vocation à stocker », souligne le lieutenant. La STEM transforme jusqu’à 6 000 litres d’eau brute en EDCH par heure, 3 000 litres en cas  d’utilisation d’eau salée. « Même une eau contaminée est dépolluée et rendue potable grâce aux STEM.
Elles sont très performantes et la France a une vraie avance technologique dans ce domaine, par rapport aux autres armées partenaires »
, précise-t-il.

Deux machines du 31e RG ont été mises en oeuvre en Roumanie, renforcées par deux autres du 19e RG. L’unité a travaillé sur deux sites de production d’eau distants de 400 kilomètres, à Cincu et à Constanta. Une première. À l’avenir, l’objectif du 31e RG serait de produire ses propres bouteilles d’eau plutôt que de les acheter. Un gain en termes de coût et d’autonomie. À cet effet, le régiment s’est doté d’une unité de conditionnement des eaux mobiles.

« Pourvoir aux besoins des soldats »

Le colonel Vincent Minguet, chef de corps au 27e bataillon de chasseurs alpins, a commandé le bataillon “Fer de lance” au début de la mission Aigle en Roumanie. Il raconte comment s’est organisé l’approvisionnement en ressources pour cet engagement en urgence.

« Comment pourvoir aux besoins en eau et en énergie des soldats partis en urgence suite au déclenchement de l’alerte de la force de réaction de l’Otan ? L’autonomie logistique du bataillon “Fer de lance” était un réel enjeu des premiers mois du déploiement en Roumanie, notamment dans l’approvisionnement des ressources. L’envoi dès le 28 février du poste de commandementHarpon”, a permis de relever ce défi. Il comptait des fonctions-clé du soutien.

Un expert du Service d’infrastructure de la défense avait pour rôle de piloter l’agencement sur le long terme, des bases de Constanta et de Cincu. Un conseiller du Service de l’énergie opérationnelle était lui chargé d’établir les contrats pour l’achat de carburant auprès des Roumains. Enfin, un référent logistique du 27e bataillon de chasseurs alpins s’occupait des domaines transverses, notamment de l’eau.Si au départ nous dépendions essentiellement du pays hôte pour les ressources, l’arrivée de l’échelon de soutien national a permis de doter le détachement de moyens pérennes d’approvisionnement et d’être indépendant.

Renforcer le pillier logistique

L’avantage d’un déploiement dans un pays comme la Roumanie, qui dispose d’infrastructures adéquates, est de pouvoir acheter les ressources directement sur place, au moyen de dialogue au niveau européen. Si la mission s’est bien déroulée, c’est parce que nous n’avons manqué de rien et que nous avons pu garder une certaine autonomie logistique. Quand j’ai rendu mon commandement fin juin, une unité de traitement de l’eau et une centrale énergie, armées par le 31e régiment du génie, étaient opérationnelles sur les deux emprises.

Dans le cas d’une zone de déploiement dite “non permissive”, l’approche est différente. L’organisation d’une chaîne logistique depuis la France est nécessaire pour acheminer l’énergie et l’eau. C’est plus compliqué et coûteux. Notre armée est prête pour ce scénario, mais elle doit poursuivre la transformation du modèle de haute intensité et  renforcer son pilier logistique, pour le rendre le plus efficace possible. »