Partager l'article

La musique dans l'armée de Terre

Texte : LTN Stéphanie RIGOT

Publié le : 21/06/2022 - Mis à jour le : 12/07/2022.

Avis à nos lecteurs les plus mélomanes. Les instruments à percussion, les trompes et les trompettes ont d’abord servi à transmettre des ordres au combat. Une pratique ancestrale qui remonte à l’Antiquité. La naissance d’un répertoire spécifique de musique militaire en France date du règne de Louis XIV : il recourt à la musique pour donner du faste au cérémonial mais aussi pour renforcer le lien armée-nation. À partir de la Première Guerre mondiale, la musique trouve un usage plus distractif et est utilisée pour entretenir le moral des soldats sur le front. Vecteur de mobilisation au combat, de prestige puis de divertissement, la place de la musique n’a cessé d’évoluer au fil des siècles. Patrimoine culturel indissociable de l’histoire militaire, elle n’est plus aujourd’hui, réservée aux cérémonials. Certaines compositions sont des tubes universels repris dans des publicités, des films et des clips. Une sonnerie de clairon, un chant de soldat… Ceux qui les reconnaissent et les transmettent, perpétuent une mémoire collective. Un héritage à défendre et à promouvoir.

En rythme !

Ce que l’on appelle "musique militaire" recouvre trois grands usages. La céleustique, c’est-à-dire ʺles sons pour transmettre les ordresʺ au combat, la musique dédiée aux cérémonies et enfin, les chants utilisés par les soldats. Ces pratiques constituent un patrimoine d’une grande vitalité et aujourd’hui encore, en évolution constante.

C’est au son du clairon que le premier « cessez-le-feu » est sonné le 7 novembre 1918. Une anecdote historique révélatrice de l’usage premier de la musique militaire. Dès l’Antiquité, sur les champs de bataille, le recours aux instruments assure la transmission de signaux sonores relayant les ordres réglementés : l’entrée, la charge à cheval ou à pied ou encore la chamade, soit l’intention de capituler. À cela s’ajoutent les sonneries régimentaires pour rassembler des soldats d’une même formation. Sous le règne de Louis XIV, ces ʺbruits de guerreʺ, comme on les appelle, sont uniformisés et consignés dans des partitions pour être ensuite utilisés dans l’ensemble des régiments de France.

Un corpus de marches militaires voit le jour, sous la plume du mousquetaire André Danican Philidor. Le monarque veut affirmer la cohésion des armées par un répertoire unifié, tout en suscitant l’engouement populaire sur le passage des troupes. Tambours, timbales, hautbois et trompettes… Ces ʺhauts instrumentsʺ, ceux qui sonnent le plus fort, sont mobilisés. Les premiers corps de musiciens apparaissent en tête des troupes sur les champs de bataille à partir du XVe siècle.

Donner la cadence

Amateur de danse et de guitare, le Roi soleil fait de la musique une des pierres angulaires de son pouvoir. Pour asseoir son prestige, il sonorise les manœuvres et les cérémonies militaires. Qui aujourd’hui encore n’a jamais entendu un « Garde à vous ! » suivi des notes de batterie de tambour et de clairon ? Des honneurs au drapeau ou à l’étendard à l’arrivée d’autorités en passant par la revue des troupes, la cadence est donnée en musique. Avec les innovations technologiques, la présence des orchestres sur le front se fait plus rare et l’usage de la musique au combat devient plus récréatif.

Durant la Première Guerre mondiale, des chants sont imprimés dans des journaux diffusés dans les tranchées. Philippe Pétain, commandant en chef des forces françaises, généralise l’utilisation de la musique pour remonter le moral des troupes. Au sein des bataillons, des orchestres sont constitués. Des artistes sont également envoyés se produire sur le front : le chant Quand Madelon connaît un succès inattendu grâce à la tournée du chanteur de comique troupier Charles-Joseph Pasquier.

Reprise en fanfare

De nos jours, la musique militaire a dépassé le cadre de la céleustique. Tout au long de l’année ou à l’approche de grandes commémorations, les concerts caritatifs et projets musicaux fleurissent. Ils permettent de mener des actions solidaires aux côtés des citoyens. Il faut attendre 2001 et la fin du service militaire pour que l’armée se dote de musiciens professionnels. En 1978, le conservatoire militaire de musique de l’armée de Terre est créé puis remplacé en 2016 par un commandement spécifique : le commandement des musiques de l’armée de Terre (Commat) dont l’ambition reste de faire résonner les valeurs de l’armée. Les treize fanfares que compte l’armée de Terre participent activement aux différentes cérémonies.

La pandémie a réduit le rythme des représentations musicales. Avant 2020, près de 740 missions étaient réalisées chaque année par six orchestres professionnels. L’année 2022 sonne comme une reprise, en fanfare. Le 6 mai 2022, entre 500 et 600 spectateurs ont assisté à un concert citoyen donné par la fanfare du 1er régiment de chasseurs. Cette initiative est une première. Elle a réuni des professeurs de plusieurs collèges, des chorales d’élèves. Elle résulte d’un travail axé sur le devoir de mémoire en classe autour du ʺChant des partisansʺ. Entre musique, histoire et tradition, cette prestation a été saluée par tous.

Le saviez-vous ?

Le premier festival international de musique militaire s’est déroulé à Paris en 1867.

Ambassadeurs de la France

Du conservatoire au treillis, il n’y a qu’un pas. Un choix de vie et de carrière qui conduit le musicien professionnel de l’armée de Terre à porter les couleurs de la France hors de nos frontières.

Le 5 mai 2022, sur le plateau de Satory dans les Yvelines, a eu lieu le baptême de promotion de la formation militaire générale des engagés volontaires sous-officiers (EVSO). Et pour cause. Ces futurs militaires du rang sont aussi les futurs musiciens de l’armée de Terre. Ils suivent une formation spécifique de six mois à l’état-major du commandement des musiques de l’armée de Terre à Versailles (Commat). Raphaël, 27 ans, est une des nouvelles recrues percussionniste. Formé au conservatoire royal de Bruxelles, il témoigne : « J’ai découvert les codes de l’Institution : se présenter, porter l’uniforme, gérer la fatigue. De nature stressée, j’ai réussi à me dépasser physiquement et mentalement. Sur le plan militaire, je partais de zéro ».

Ils ne sont que deux percussionnistes à avoir été recrutés sur cette première session de l’année. Ils ont dû d’abord passer une audition afin de valider l’agrément technique nécessaire pour intégrer un orchestre militaire professionnel. Le répertoire est imposé, ils doivent exécuter une œuvre sans piano pour valider l’admissibilité. Les épreuves d’admission sont composées de l’interprétation d’une œuvre avec accompagnement de piano, d’un déchiffrage et d’un entretien avec le jury.

Un engouement qui ne faiblit pas

Raphaël et ses camarades s’apprêtent maintenant à débuter une nouvelle phase dans leur instruction. Les répétitions avec l’instrument reprennent. Ils enchaîneront ensuite avec trois semaines de formation technique de premier niveau sur le cérémonial, les prises d’armes, le défilé, la revue des troupes ou encore le déplacement en musique. « Ils doivent maîtriser les codes du musicien militaire rapidement et pour tout type de cérémonie », explique le major Jean-Michel, chef de la section formation du Commat.

En 2021, 121 musiciens professionnels ont été formés. Preuve que l’engouement pour la musique ne faiblit pas. Partout en France, des formations musicales composées de professionnels et d’amateurs existent : six orchestres du Commat, la musique de la Légion étrangère, treize fanfares de régiment et quatre de lycées militaires. Ces formations représentent d’authentiques outils de rayonnement à la main du chef d’état-major de l’armée de Terre.

Le saviez-vous ?

Les orchestres militaires au XIXe siècle. Loin de se contenter de la musique de cérémonial, les programmes des orchestres du XIXe siècle montrent qu’ils diffusaient les meilleures compositions parisiennes, de l’Opéra au café-concert. Ils bénéficient de l’installation des kiosques à musique. Mais ils ont aussi une résonance hors de nos frontières : leur mission diplomatique culmine pendant la Grande Guerre avec les tournées aux États-Unis de l’orchestre des Poilus de Gabriel Parès et de celles de la Musique de la Garde républicaine.

L’originalité du répertoire

Cent millions de téléspectateurs dans le monde. C’est ce qu’ont vécu en 2019, les musiciens de l’artillerie de Lyon lors du festival militaire (Tattoo) d’Édimbourg pendant un mois, à raison d’une représentation par jour (deux le samedi). Une moyenne de 200 000 spectateurs (sur trois semaines de spectacle) et près de 1 000 artistes se sont retrouvés. Chaque pays apporte et partage sa culture durant ce rendez-vous international des musiques militaires. En amont de ces événements, une thématique est retenue chaque année pour les représentations internationales. En fonction de l’attrait spécifique d’un pays, l’orchestre s’adapte en faisant preuve d’originalité. Michel Legrand, le French cancan et le Moulin rouge, font partie des références françaises pour les étrangers. Sur scène, les musiciens, ambassadeurs de la France à l’international sont aussi garants de l’image de l’institution. À Édimbourg, pour chaque pays, la parade dure en moyenne entre sept et dix minutes. Le prochain rendez-vous est fixé en fin d’année -pour la première fois au Sultanat d’Oman- avec la musique de la Légion étrangère.

Le saviez-vous ?

En 2013, l’album ‘’Héros’’ de la musique de la Légion étrangère a été certifié disque d’or avec plus de 50 000 exemplaires vendus.

L’accord parfait

Qu’ils soient professionnel ou pas, tous ont fait le choix de concilier passion musicale et carrière militaire. Tendez l’oreille : leur talent résonne aussi bien en école, en lycée ou dans le désert.

Talent de chœur

L’élève officier Paul, 21 ans, a intégré l’École spéciale militaire de Saint-Cyr en 2020 où il suit une formation militaire et académique de trois ans. En parallèle, il est aux commandes du chœur de la promotion ʺgénéral Caillaudʺ. TIM lui a posé trois questions.

Quelles sont les missions d’un chef de chœur ?

Je coordonne les composantes de quarante choristes, les pupitres (sous-partie du chœur) qui constituent les différentes voix. Ma mission est de leur apprendre les chants, les quatre voix différentes (basses, barytons, voix lead, et ténors). Je réécris aussi certains chants pour apporter un peu de nouveauté. Ce qui n’existe qu’avec une mélodie je le décompose en différentes voix pour plus d’harmonie et pour changer le rythme. Je n’avais aucune expérience de lead. J’ai déjà joué en orchestre et je voyais le chef d’orchestre à l’essai. J’essayais de reproduire les gestes pour apprendre sur le tas. Mes mains donnent le tempo (pulsation), la mesure et de l’expression pour adapter les nuances de voix. Et lorsqu’un choriste est en difficulté, je pousse un peu avec ma voix.

D’où vous vient cette passion pour le chant ?

J’ai découvert le chant en lycée militaire. Je suis violoniste de formation, en conservatoire, avec un certificat d’études musicales en solfège et en violon. Lors de mon intégration à Saint-Cyr j’ai souhaité faire partie du chœur que je considère comme l’identité d’une promotion. Je me sentais prêt à tenir ce rôle et cet engagement de chef de chœur. C’est un rôle exigeant. Il faut connaître toutes les partitions, les faire apprendre. C’est aussi un défi de diriger ces camarades. Nous avons le même grade, le même âge. J’adapte mon ton en trouvant les mots justes et en partageant tout ce que je connais en technique. Je trouve le juste équilibre.

Selon vous, quel est le rôle du chant dans l’armée de Terre ?

Je pense que le chant tient un rôle majeur dans la cohésion. Dans notre chœur déjà. Si on enlève un choriste le chant ne sera plus le même. Nous choisissons les chants ensemble, avec les chefs de pupitre. Le chant est notre patrimoine commun que l’on transmet au même titre que l’Histoire qui nous rassemble dans notre engagement. Il fédère, motive, développe l’esprit guerrier, et fait passer des émotions. C’est notre identité que l’on conserve précieusement au fil du temps.