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La maintenance se transforme

Texte : CNE Justine de RIBET

Publié le : 09/02/2023 - Mis à jour le : 15/02/2023.

Sur le territoire national comme en opérations extérieures, derrière chaque véhicule et chaque système d’armes, œuvrent des soldats dans l’ombre. Ce sont les maintenanciers. Interventions techniques, contrôle et approvisionnements, entretien des outillages ou encore réparation de l’installation d’un radar ou d’un véhicule… Autant de missions pour ces techniciens spécialisés qui travaillent sans relâche pour assurer la continuité des opérations et garantir la disponibilité du matériel. Ce domaine offre de nombreux avantages : autonomie, responsabilité, projection en opérations extérieures. Sous de fortes chaleurs, ou des pluies abondantes, ils doivent coûte que coûte répondre aux besoins du matériel sur le terrain. Pour conserver cette excellence, l’innovation est constante. Elle concerne entre autres les formations comme les outils et procédés utilisés pour maintenir en condition, à l’instar de l’impression 3D. Tour d’horizon.

Une réactivité additive

La fabrication additive, dite impression 3D, offre de nombreux avantages. Ce procédé permet de créer et de réparer des pièces plus rapidement. Il répond aux demandes et aux contraintes du terrain en métropole et en opérations où l’urgence prime. Sans remplacer l’expertise des industriels, cet outil supplémentaire garantit réactivité et autonomie. Il témoigne de la capacité de la maintenance à innover.

La création du ʺpôle innovationʺ de la Structure intégrée du maintien en condition opérationnelle des matériels terrestres (SIMMT) répond à de nombreux objectifs: améliorer les conditions opérationnelles de la maintenance, réduire les délais logistiques, supprimer des tâches à faible plus-value et permettre aux maintenanciers de se focaliser sur leur cœur de métier. Tout ce qui est pensé dans ce bureau est transposable en opérations extérieures. L’innovation repose sur deux principes : l’innovation participative et l’innovation technologique.

L’innovation est l’affaire de tous les acteurs du MCO-T. C’est pour cette raison qu’il a été créé un réseau de remontée des nouvelles idées dans toutes les unités à travers le concept de l’innovation participative. Pour les innovations technologiques, la numérisation et la fabrication additive sont privilégiées. La numérisation au profit du MCO-T consiste à rendre mobile le système d’information (SI). Le technicien de la chaîne logistique et de la maintenance rédige ses comptes rendus sur une tablette directement dans le SI et limite ainsi les multiples saisies de ses tâches administratives.

Quant à la fabrication additive dite impression 3D, cette technique permet par exemple de fabriquer, en un temps réduit, une pièce indispensable au bon fonctionnement d’un véhicule. Néanmoins, elle n’a pas vocation à remplacer la pièce de base fournie par l’industriel. Il s’agit d’une solution temporaire. Cependant, cette innovation permet d’être au plus proche du besoin en un temps record.

L’impression 3D fonctionne avec différents matériaux, essentiellement de la résine et de la matière plastique. Elle est utilisée actuellement dans les différents régiments du matériel. La SIMMT disposera prochainement d’une imprimante métal.

"Gagner du temps"

Depuis la mise en place de cinq imprimantes 3D en 2020, le 2e régiment du matériel (2e RMAT) a participé à différents projets : une poignée de porte de véhicule de l’avant blindé, un couvre-carcasse en bakélite de poignée pistolet, un bouchon de purge VLTT P4 ou encore un bouton de démarrage. « Nous travaillons sur tous types de pièces. Par exemple, pour le 14 juillet dernier, nous avons fabriqué 100 caches pour baïonnettes HK 416 » se remémore le commandant Andry, du bureau maintenance opérations instruction du 2e RMAT.

Dans l’atelier de Bruz, près de Rennes, le sergent Valentin travaille sur un Griffon couleur Terre de France (nouveau camouflage). « Lorsqu’il a fallu changer le camouflage, les imprimantes 3D ont été bien utiles. Ainsi, pour gagner du temps et faciliter le travail de peinture, la section a imprimé des bouchons d’écrou à poser sur les roues pour éviter de les démonter. On a gagné une journée de travail. » Pour l’adjudant Richard, cette innovation reste un soutien, une solution de dépannage tant qu’elle n’engage pas la sécurité. La pièce est toujours commandée en parallèle. « En Opex, il est gratifiant de voir que nos productions permettent d’assurer la poursuite des opérations. »

Optimus Prime

Une autre matière que le plastique est actuellement en phase d’expérimentation. Les prochains projets se nomment Optimus et Prime. Le premier projet vise à déployer un atelier mobile de production par impression 3D métal et plastique. Prime, quant à lui, consiste à créer une cellule robotisée projetable permettant le rajout de matière sur des pièces usées ainsi que la confection de pièces 3D. Ces projets offriront de nouvelles perspectives sur les théâtres d’opération et soutiendront les unités déployées, notamment en cas de tension sur la chaîne d’approvisionnement. La fabrication additive ʺmétalʺ est en pleine montée en puissance.

Le prochain défi consiste à modifier le modèle économique des industriels. Demain, les armées n’achèteront plus les pièces mais les fichiers pour les fabriquer. Ce n’est pas le même coût ni le même procédé. « Nous sommes dans la phase d’appel d’offres avec les entreprises. Nous travaillons pour basculer sur une autre manière d’œuvrer ensemble, explique Laurent, chef du bureau expertise technique maintenance. Aujourd’hui, nous achetons du matériel, l’objectif pour demain, ce sera l’immatériel. »

Faciliter les échanges

Depuis 2021, le Centre opérationnel interarmées et interservices (CO2I) du MCO-T (CO2I) coordonne les actions entre les industriels et les maintenanciers de l’armée de Terre. Pour faciliter les échanges, une réunion hebdomadaire a vu le jour. Appelée "le plateau intégré", elle a pour but de satisfaire les besoins opérationnels des armées. Militaires et civils travaillent main dans la main pour atteindre les objectifs fixés. Une approche novatrice.

Chaque jeudi, à Versailles, le treillis rencontre le costume-cravate. Ce sont les participants du plateau intégré du centre opérationnel interarmées et interservices (CO2I). Trois partenaires majeurs de la base industrielle et technologie de défense y participent : Nexter, Arquus et Thales, les ʺmaîtres d’œuvre industrielsʺ, représentés par des détachés de liaison. Du côté étatique, on retrouve la Structure intégrée du maintien en condition opérationnelle des matériels terrestres (SIMMT), le Service de la maintenance industrielle terrestre (SMITer) et le Commandement de la maintenance des forces (COMMF).

Afin de combiner au mieux ces réunions, la section coordination des opérations (SCO) a été créée en 2021. Au cœur du dialogue entre les acteurs étatiques et les industriels, elle priorise les dossiers à traiter et exploite le retour d’expérience de ces actions afin de satisfaire en urgence des besoins opérationnels dans le domaine de la maintenance. Exemple en 2021, suite à des attaques, des véhicules blindés légers surblindés ont été équipés et projetés en urgence en bande sahélo-saharienne.

« Sortir des sentiers battus »

Aujourd’hui, les trois industriels assurent le soutien pouvant aller de l’armement individuel jusqu’au Griffon. « Dès qu’il y a un besoin, les détachés de liaison civils sont sollicités par les officiers de ʺpilotage du soutien ʺ de la SIMMT, explique le commandant Thomas, officier au CO2I. Chacun est responsable d’un ou plusieurs parcs. Le plateau intégré du CO2I oriente les industriels sur les urgences. »

En effet, ces derniers ne possèdent pas la vision du terrain et ne peuvent prioriser les demandes. Le plateau intégré pallie ce manque. Il permet à l’industriel et à l’armée de Terre de partager, de planifier et de résoudre ensemble les difficultés. Le commandant Thomas ajoute : « Nous nous mettons à la place du caporal-chef, de l’adjudant ou du technicien de Thales, Arquus ou Nexter qui se trouve face au véhicule. On doit lui faciliter le travail et lui donner une seule directive ».

« Les résultats sont là »

Pour les industriels, cette rencontre est un atout considérable. « Nous pouvons témoigner d’une certaine flexibilité et sortir des sentiers battus des contrats. Derrière, nous sommes libres de faire preuve de créativité, si besoin, dans la recherche de solution, explique Geoffroy, détaché de liaison pour Arquus. Cela fait jurisprudence pour les prochaines problématiques qui sont similaires aux dossiers déjà traités. »

Autre avantage du plateau intégré, les échanges permettent d’anticiper les plans de production, d’avoir une visibilité sur les prochaines échéances de l’armée de Terre et de limiter la prise de risque. Une grande première ! « Ces personnes sont embarquées dans l’aventure, nous partageons donc avec eux les actualités et les priorités opérationnelles, explique le commandant Thomas. Ils ont ainsi une visibilité sur plusieurs mois voire sur l’année à venir et peuvent prioriser les urgences en toute connaissance de cause. »

Les détachés de liaison, acteurs privilégiés, sont porteurs des projets de la maintenance au profit des opérations et connaissent les moindres détails des dossiers en cours. Ils apportent leur expertise directement aux armées. Pour Pascal, détaché de liaison pour Thales, l’effet est sans appel : « Cela donne un poids supplémentaire à la conduite des programmes en interne industriels ». Cette initiative renforce la cohésion et la gouvernance intégrée du maintien en condition opérationnelle des matériels terrestres.

Le commandant Thomas conclut : « Notre approche novatrice est l’intégration du personnel privé dans un centre d’opération. Et les résultats sont là. En seulement trois mois, d’octobre 2021 à janvier 2022, 38 dossiers ont été traités ». Aujourd’hui, le plateau intégré peut élargir son vivier avec de nouveaux industriels et partager les informations sur des dossiers tels que le soutien d’un engagement d’envergure, l’innovation ou les ressources humaines.

Le saviez-vous ?

Depuis la création de la section coordination des opérations et du plateau intégré en 2021, 426 dossiers ont été traités. 72 sont en cours.

Des techniciens spécialistes

L’École du matériel à Bourges forme les futurs maintenanciers. Elle adapte sa formation au gré des innovations et se modernise en utilisant de nouveaux outils pédagogiques. Dernière nouveauté : l’évolution des cursus de carrière. La refonte des parcours permet de disposer de techniciens spécialistes dans des domaines précis, immédiatement projetables sur des postes bien définis. L’armée de Terre forme et gagne des experts de la maintenance.

L’École du matériel accueille chaque année environ 3 500 élèves et stagiaires, tous grades confondus. Elle forme les maintenanciers de demain dans le domaine de l’électronique, de l’armement, en passant par la maintenance des engins blindés. Parmi les trois cursus de formation proposés, se trouve la gestion logistique des biens (GLB). Elle se focalise sur la gestion et l’approvisionnement des pièces détachées, le stockage, l’entreposage, la distribution et la formation aux logiciels d’administration de flux.

Si les métiers de cette spécialité peuvent sembler sédentaires, ils présentent de nombreux avantages tels qu’une grande autonomie, la prise de responsabilité, la spécialisation à tous les niveaux, la diversité dans les fonctions, la possibilité d’exercer plusieurs métiers. La maintenance, domaine déficitaire, recrute des civils et des militaires.

« Nous avons besoin d’approvisionner partout où l’armée de Terre est présente. Cette spécialité offre la possibilité de partir en outre-mer en séjour, explique le capitaine Jean-Louis, chef de la division technique gestion logistique des biens supply chain. Dès la fin de sa formation et à son arrivée en régiment, le maintenancier est projetable en opérations extérieures. » Le maintenancier s’adapte en tout temps et tout lieux, tout comme le cursus de carrière qui fait peau neuve.

Aptes dès la fin de formation

Les parcours évoluent pour former des approvisionneurs polyvalents dans tous les registres de sa spécialité, du magasinage à la gestion des biens en passant par les recherches de solution approvisionnement dans l’ensemble des formations de l’armée de Terre (régiment des forces ou formation de maintenance).

Le cursus se décline désormais en trois phases distinctes. Après sa formation initiale en CFIM, le militaire du rang débutera sa formation technique de spécialité (FTS) avec un stage qualifiant de deux semaines qui le rendra apte à tenir un poste d’opérateur logistique. La deuxième phase, (FS1 sous-officiers) de 11 semaines le qualifiera pour des postes de technicien logistique. Puis la troisième phase de 5 semaines (FS2) qui pourra être complétée de stages spécifiques aux postes occupés amènera les personnels à diriger des équipes dans des domaines bien précis.

« La modification du cursus sera un gain de temps. La formation est constituée de troncs communs et couplée avec des stages d’adaptation tels que chef d’équipe entreposage, chef du pôle expertise d’approvisionnement ou responsable de la gestion logistique des biens disponibles et non-disponibles », développe le capitaine Jean-Louis. Il est bien évidemment possible de cumuler différents stages d’adaptation. Pour appuyer l’évolution de ces stages, l’école du matériel exploite de nouveaux outils pédagogiques.

« Formé pour un poste bien défini »

La dalle tactique fait partie de ces innovations. Utilisée pour les démonstrations en 3D, elle permet de visualiser l’intérieur du véhicule, de s’immerger virtuellement pour s’entraîner sans endommager le matériel et en toute sécurité. Autres exemples : un magasin à taille réduite ou encore une mini zone qui recrée les conditions opérationnelles permettant de préparer les futurs techniciens pour les déploiements. Pour le maréchal des logis-chef Tristan du 7e régiment du matériel : « On s’y croirait ! ».

Cela lui rappelle sa plus belle expérience en Opex : son poste de détaché de liaison avec les forces spéciales pendant la mission Sabre. « J’ai appris à travailler dans l’urgence pour satisfaire les besoins des opérations en cours », ajoute-t-il, les yeux pétillants. Aujourd’hui, le maréchal des logis-chef a choisi de se spécialiser dans la filière logistique physique d’entreposage et plus particulièrement, dans la conduite des approvisionnements.

« J’apprends à utiliser les nouveaux logiciels, par exemple l’application Business object qui extrait les données sur les états des stocks, explique le stagiaire. Peu importe notre grade, notre âge ou notre fonction, on n’a jamais fini d’apprendre ». Le chef de la DGTS conclut : « L’avantage est que le maintenancier de demain sera formé exclusivement pour un poste bien défini et aura les compétences nécessaires pour effectuer un travail d’excellence ».

Du stock à l’atelier

La cellule d’approvisionnement de structure industrielle de la 13e base de soutien du matériel offre de nombreux avantages : un stock à disposition et une fluidité sur les chaînes de maintenance dans les ateliers des régiments ou dans les bases de soutien du matériel. Depuis 2020, elle a fait ses preuves.

Prioriser et améliorer le flux sur les chaînes des ateliers sont les deux missions premières de la cellule d’approvisionnement de structure industrielle (CASI). Dédiée au stockage et à la distribution de la ressource nécessaire aux ateliers de la maintenance, elle est composée de trois éléments : la ʺcellule d’approvisionnementʺ des ateliers et des rechanges en bon état, la ʺcellule entrepôtʺ pour la réception et l’entreposage des rechanges réparables ainsi que la détention des rechanges bon état et la gestion de la logistique et enfin la ʺcellule de stockage mauvais étatʺ.

Elle assure le stockage des ʺen coursʺ de production mauvais état et leur distribution au profit exclusif des ateliers co-localisés de la maintenance industrielle. Dans l’unité de groupement multi-techniques de la 13e base de soutien du matériel (13e BSMAT), le résultat est sans appel.

Les premiers avantages de la CASI sont déjà constatés par la 13e BSMAT. « C’est un gain de temps pour tous et le maintenancier se focalise sur son cœur de métier, explique M. Hassen, commandant d’unité. Aujourd’hui, grâce ce nouveau système, la pièce vient jusqu’au technicien. Il n’a plus à s’en soucier puisque cette partie est gérée par la CASI. Le mécanicien fait de la mécanique, et le logisticien de la logistique. »

Le saviez-vous ?

Pour l'année 2022, plus de 2 millions 680 000 pièces ont été réceptionnées.

Le lien entre atelier et entrepôt

La proximité n’est pas en reste. Toutes les deux semaines, la cellule vient faire l’état des lieux du stock et planifier les futures commandes. Par exemple, la 13e BSMAT possède l’unique chaîne de véhicules blindés légers (VBL) de France. Au retour d’opérations extérieures, le VBL est entièrement démonté, nettoyé, sans oublier la réparation ou l’échange des pièces abîmées. Les visites régulières de la CASI permettent d’anticiper les besoins en commandant les pièces en avance. Cela évite toute rupture de chaîne.

De plus, ce déplacement limite les tâches administratives lourdes et facilite les échanges entre les maintenanciers et la CASI. « C’est un vrai lien, ajoute M. Hassen. En cas de rupture de stock d’une pièce, nous discutons pour trouver une solution le plus rapidement possible. Ce contact direct fluidifie notre chaîne et simplifie notre travail. » Aujourd’hui, il existe dix cellules de ce type en France. Elles offrent un avantage supplémentaire : la valorisation du métier du maintenancier et du logisticien.