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La coopération européenne

Texte : CNE Anne-Claire PÉRÉDO, ADJ Anthony THOMAS-TROPHIME

Publié le : 20/05/2022 - Mis à jour le : 27/06/2022.

La France est un allié fiable et crédible. À la tête de l’Union européenne depuis janvier 2022, elle promeut l’autonomie stratégique européenne dans un contexte géopolitique sans précédent, alors que la menace s’intensifie à l’Est. La France encourage le renforcement de la coopération militaire entre les partenaires. Dans cette dynamique, l’armée de Terre est un acteur incontournable dans plusieurs domaines opérationnels communs, tels que les formations, les entraînements, les opérations, sans oublier le développement capacitaire.

L’armée de Terre, un acteur incontournable

Depuis le 1er janvier, la France préside le conseil de l’Union européenne. Cette prise de fonction intervient dans un climat géopolitique dégradé dans l’est de l’Europe en Ukraine, et en Afrique dans la bande sahélo-saharienne. Dans ce contexte sécuritaire, l’Hexagone, puissance militaire majeure de l’UE, prône une autonomie stratégique européenne.

Lors de ses récentes allocutions en mars, le président de la République, Emmanuel Macron, affirmait : « L’Europe doit devenir une puissance plus indépendante, plus souveraine. […] En décembre 2021, nous avons décidé que l’Union européenne assumerait une plus grande responsabilité en ce qui concerne sa propre sécurité et, en matière de défense, qu’elle suivrait une ligne d’action stratégique et renforcerait sa capacité à agir de manière autonome.

« La relation transatlantique et la coopération entre l’UE et l’Otan, dans le plein respect des principes énoncés dans les traités et de ceux que le Conseil européen a adoptés, y compris les principes d’inclusivité, de réciprocité et d’autonomie décisionnelle de l’UE, sont fondamentales pour notre sécurité globale. Une Union plus forte et plus capable dans le domaine de la sécurité et de la défense contribuera positivement à la sécurité globale et transatlantique et est complémentaire à l’Otan, qui reste le fondement de la défense collective pour ses membres ». Ces déclarations prônent une autonomie stratégique européenne dans un contexte sécuritaire complexe.

Des unités multinationales

En France, certains corps et unités sont déjà pleinement multinationaux. C’est notamment le cas du corps de réaction rapide européen (CRR-E). Aussi appelé Eurocorps, il a été créé en 1992, sur une initiative franco-allemande visant à donner à l’Union européenne la capacité de commander une opération. Depuis, d’autres pays ont accédé au statut de nations-cadres : la Belgique, l’Espagne, le Luxembourg et dernièrement la Pologne.

La place unique du CRR-E dans le paysage de la défense européenne et sa vocation duale Otan et UE confèrent une expertise rare à cet état-major et à sa brigade multinationale d’appui au commandement. Sorti de son alerte Nato response force - Land Component Command en 2020, le CRR-E arme l’ossature et le commandement de quatre missions de formation de l’UE en 2021 et 2022. Il organise aussi des exercices comme Euretex. Le CRR-E assure également le commandement de la brigade franco-allemande (BFA) qui constitue sa capacité de réaction initiale.

 

Autre unité multinationale, le corps de réaction rapide-France (CRR-Fr) est l’état-major opérationnel, de plus haut niveau, dont dispose l’armée française. Comptant 430 militaires de 14 nations différentes, il est capable d’assurer le commandement d’une force terrestre nationale ou multinationale. Dans le cadre d’un mandat de l’Otan, de l’UE ou de niveau national, il est capable d’être engagé sur tout le spectre des opérations, engagement majeur, “entrée en premier” ou phase de stabilisation.

Mener les débats

La coopération s’étend au-delà du champ opérationnel avec le volet de la formation, comme la création de l’École franco-allemande de formation des équipages Tigre (EFA Tigre) en 2003  ou plus récemment le partenariat stratégique entre la France et la Belgique avec le contrat capacité motorisé (CAMo).
 

D’autres projets conjoints suivent leur cours comme le développement du système de combat terrestre futur, le Main Ground Combat System. Ce projet franco-allemand vise à offrir un successeur aux chars Leclerc et Leopard 2 à l’horizon 2035. Il verra s’associer à terme d’autres partenaires. La France travaille également avec l’Espagne sur le projet de modernisation de l’hélicoptère d’attaque Tigre au standard 3. L’Allemagne conserve la possibilité de rejoindre ce projet jusqu’à l’été 2022.
 

Fin mars, les chefs d’état-major des armées de Terre de l’UE se sont réunis au siège du CRR-E et au Parlement européen. Cet événement a permis d’échanger sur les défis sécuritaires actuels et les enjeux pour les armées de Terre européennes. De même, ce forum a mis en avant la nécessité de développer l’interopérabilité des forces terrestres des vingt-sept États membres de l’UE à travers des projets de coopération structurée permanente comme les capacités de combat collaboratif EcoWar, et le projet de radio logicielle Essor.

Briser la glace

Exercices multinationaux ou entraînements de petits détachements spécialisés, la France multiplie les échanges avec ses alliés européens. Exemple à Boden en Suède où une équipe de plongeurs de combat du 6e régiment du génie a perfectionné, auprès des soldats suédois, les techniques propres à la plongée sous glace.

Prisonnier de la glace, le fleuve Luleälven semble endormi. Bordant la ville de Boden, au nord de la Suède, il se fond avec les nuages. Dans le paysage blanc, seules quelques silhouettes s’animent. Armés de scies, de pelles et d’une épuisette, les plongeurs de combat du 6e régiment du génie (6e RG) creusent la glace pour dévoiler un carré d’eau, d’une surface de 2 m². Une porte sur les profondeurs arctiques.

Du 15 au 23 février, le détachement français effectue un stage d’entraînement à la plongée sous glace au Swedish Armed Forces subarctic warfer center (SwAF SWC), le centre de guerre subarctique suédois. Certaines unités françaises comme celles de la 27e brigade d’infanterie de montagne, y viennent aussi pour acquérir d’autres compétences spécifiques au milieu grand froid. « Cet entraînement nous donne l’opportunité d’approfondir nos techniques de plongée et mettre nos matériels à l’épreuve dans cet environnement extrême », explique le lieutenant Julien, chef de section du détachement d’intervention nautique, de la compagnie appui amphibie.

« Confinés sous la glace »

L’armée suédoise emploie ses plongeurs pour effectuer des missions de reconnaissance ou pour réaliser des travaux dans des conditions difficiles propres au milieu arctique. Experts incontestés dans ce domaine, les instructeurs forment des plongeurs français depuis trois ans. « À travers ce stage, nous apprenons aussi à mieux connaître nos partenaires. Parmi les nombreuses unités étrangères que nous formons, les Français possèdent déjà un excellent bagage technique », indique le capitaine Magnus, directeur du stage de plongée.

Dispensé en anglais, le stage comprend une partie théorique, avec au programme des cours pour apprendre à déterminer la qualité de la glace, la découverte du matériel, l’apprentissage des procédures et des conduites à tenir en cas d’accident, sans oublier le volet médical. Enfin, la formation est complétée par la pratique. D’abord par des séances de plongée en piscine, afin de se familiariser avec la combinaison étanche et le masque facial intégral, puis sur glace pour apprendre à creuser les trous à l’aide de tronçonneuses ou de scies.

Plonger dans ce milieu extrême nécessite de travailler en équipe de quatre. Reliés par une ligne de vie, deux plongeurs sont en liaison permanente avec leurs assistants-sécurité. Ces derniers, restés en surface, sont le lien physique (câble) et psychologique (radio) des plongeurs. « Nous évoluons jusqu’à 25 mètres de profondeur, confinés sous un mètre de glace. Dans cette immensité, la seule issue en cas d’incident reste l’accès que nous avons creusé. Grâce à la ligne de vie nous pouvons être guidés ou tirés vers la sortie », précise le lieutenant Julien.

Le saviez-vous ?

Une lettre d’intention a été signée par la ministre des Armées, Florence Parly, et son homologue suédois pour définir les axes de développement de la coopération bilatérale. Ils comprennent entre autres, la volonté d’améliorer l’interopérabilité entre les deux forces armées mais aussi le renforcement de leur capacité à conduire des opérations conjointes.

Une eau proche de 0°C

« Plongeur prêt, pression 300 bars, santé ok, profondeur de travail, 20 mètres, pour 25 minutes ». Les plongeurs du 6e RG attendent le signal de Magnus, masque collé au visage. « Ok go ! » Un à un, ils glissent dans une eau proche de 0°C avant de rejoindre les profondeurs dans un sillon de bulles. Les assistants-sécurité déroulent la ligne de vie à mesure que progressent les plongeurs. L’instructeur en chef connaît les fonds comme sa poche. Profondeur, direction, distance, ses instructions sont transmises par l’intermédiaire des assistants techniques.

Vingt mètres plus bas, les plongeurs s’exécutent dans l’obscurité en luttant contre les courants. Dix minutes plus tard, Magnus ordonne aux plongeurs de revenir. Ils s’extraient de l’eau pour finir emmitouflés sous une couverture. L’exercice continue. Les assistants s’activent pour remettre l’équipement en condition avant de les faire redescendre. Rien n’est laissé au hasard. « La préparation du matériel doit être minutieuse. Le moindre petit problème en surface est décuplé en profondeur », souligne le lieutenant Julien.

Le stage se clôture par une plongée comprenant un travail spécifique, suivi d’un test théorique et enfin le redouté bain de glace, un entraînement à l’hypothermie. Les plongeurs de combat du génie ne sont pas les seuls à venir affronter les températures extrêmes de Boden. Certaines unités françaises, comme celles de la 27e brigade d’infanterie de montagne, y viennent aussi pour acquérir d’autres compétences spécifiques au milieu grand froid. Les échanges comme ceux-ci constituent une étape vers de futurs entraînements voire des exercices conjoints en milieu arctique.

Apprendre à coopérer à l’EFA Tigre

À l’École franco-allemande Tigre, dans le Var, les équipages suivent leur formation sur l’hélicoptère Tigre. Les stagiaires y perfectionnent leur technique de vol et leur maîtrise de l’hélicoptère dans un cadre binational. Mais surtout ils apprennent à agir en complémentarité. Une instruction unique au service de l’Europe de la défense.

Dans l’amphithéâtre Chaon, à l’École franco-allemande (EFA) Tigre, le lieutenant Melchior est concentré. Face à lui et ses camarades français, un instructeur allemand explique en anglais les particularités du Kampf-HubSchrauber Tiger : à la différence du modèle français, il est spécialisé dans la lutte antichars. La présentation intervient à la veille d’un événement important pour les stagiaires. Pour la première fois depuis leur arrivée à l’été dernier, ils voleront et combattront aux côtés de leurs homologues d’outre-Rhin pour un exercice de restitution tactique.

« Les capacités et savoir-faire de chacun seront combinés pour remplir une même mission. Cela implique de connaître les moyens du KHS mais aussi d’en comprendre les contraintes », relate Melchior. La complémentarité sera le maître-mot de la manœuvre. Elle est même au cœur de la formation conjointe dispensée par l’EFA située dans le Var, où les équipages allemands et français suivent leur spécialisation sur l’hélicoptère d’attaque en service depuis les années 2000.

Un environnement binational

Créée en 2003 dans la veine du traité de l’Élysée, l’école fournit aux régiments des équipages aptes à leur premier emploi respectif : pilote, chef de bord, chef de patrouille, moniteur. Près de quatre-vingts aérocombattants de l’Aviation légère de l’armée de Terre (ALAT) et de la Heeresfliegertruppe ont été qualifiés en 2021. Un chiffre répondant au besoin des forces.

Les enseignements ne sont pas communs pour les élèves allemands et français. Les Tigre des deux pays ayant quelques spécificités, chacun se spécialise sur son système d’armes. « La raison d’être de l’école n’est pas de lisser la formation mais d’apprendre à penser et agir de concert, explique le lieutenant-colonel Olivier, commandant l’unité. La coopération se renforce toujours plus. Pour la première fois, un tir commun qualifiant pour les stagiaires sera réalisé sur le camp de Canjuers en mai 2022 ». Pour travailler main dans la main, les élèves apprennent à se connaître et vivent leur scolarité dans un environnement binational.

S’enrichir des enseignements

Tous les matins, Melchior, comme l’ensemble des stagiaires, participe à un briefing de sécurité préparatoire aux activités aériennes du jour. En anglais of course. En vol, les pilotes doivent maîtriser les techniques de déplacement de la machine tout en gérant son large panel de systèmes d’armes et suivre les liaisons radios. « Pour faciliter cet apprentissage, la France et l’Allemagne ont décidé de partager leur expérience plutôt que de former seuls leurs équipages », précise le commandant de l’EFA.

Tout en dégageant des synergies, centraliser l’instruction permet de s’enrichir des enseignements des uns et des autres au gré des engagements de l’aéronef et s’inscrit dans une perspective d’évolution commune. Une manière de préparer les affrontements de demain qui nécessiteront des moyens décuplés, imposant aux alliés de faire front commun. Pour les militaires, l’EFA est une opportunité de s’y confronter avant même de rejoindre leur affectation où ils seront des ambassadeurs de cet esprit d’échange. À l’heure où les conflits semblent se cristalliser en Europe, la légitimité de l’école ne se dément pas.

Le saviez-vous ?

Dès 1975, des discussions franco-allemandes ont lieu autour de la conception d’un hélicoptère multi-rôles afin de riposter à une éventuelle offensive blindée venant de l’Est. Un accord est signé pour le développement du Tigre en 1984.

Lieutenant-colonel Pierre, du tactique au politique

Chargé de mission à la Direction générale des relations internationales et de la stratégie, le lieutenant-colonel Pierre est un trait d’union entre les mondes militaire et politique. Parmi ses missions, il constitue les dossiers préalables aux entretiens des hautes autorités avec leurs partenaires européens.

« Au département ”relations bilatérales Europe“ au sein de la Direction générale des relations internationales et de la stratégie (DGRIS), j’ai en charge les dossiers traitant des affaires entre la France et plusieurs pays européens, plus particulièrement la Roumanie et la Bulgarie. Mon rôle est de constituer un argumentaire pour étayer la réflexion du politique. Lorsque la ministre des Armées a prévu de s’entretenir avec l’un de ses homologues, par téléphone ou en tête à tête, son cabinet fait appel à mon département pour collecter des informations liées à l’ordre du jour : coopération en cours, situation géopolitique, programme d’armement en commun, etc.
 

Les données récoltées sont ensuite synthétisées pour constituer un dossier qui propose des orientations et comprend, entre autres, un fil conducteur sur lequel l’autorité peut s’appuyer durant son entretien. Je réalise également des dossiers sur les relations de défense, pour le compte de la directrice générale des relations internationales et de la stratégie ou en soutien d’une rencontre du niveau chef d’état-major de l’armée de Terre, par exemple.

Expliquer au monde diplomatique

Ma mission nécessite de rester en contact permanent avec les états-majors des différentes armées, la Direction générale de l’armement et les attachés de défense. Je veille les chaînes d’information et les réseaux sociaux qui me permettent d’identifier les personnes à suivre. Seul Terrien dans cet environnement interarmées et civil que constitue mon département, je suis passé du monde militaire à celui du politico-militaire. L’expérience acquise durant mes vingt-neuf années de service en corps de troupe et en état-major me permet aujourd’hui d’expliquer au monde diplomatique les implications que peuvent avoir leurs décisions sur nos armées.

 

Avec mes correspondants, nous avons préparé le déplacement de Florence Parly à Bucarest en janvier 2022. Les échanges avec son homologue roumain ont porté sur les relations de défense et le partenariat stratégique entre les deux pays, sur la situation régionale dans l’Est de l’Europe et la disposition de la France à renforcer sa présence en Roumanie dans le cadre d’une mission de l’Otan. Durant les prises de paroles de la ministre, j’ai eu le plaisir d’entendre quelques propos que j’avais écrits. Dans ces moments-là, nous réalisons que notre travail est utile ».